Le miroir sans tain

Le 21/09/2011

Je jouis seule, toujours, devant une glace sans tain.

Qui dit que c’est mal de jouir ? De quel droit une société, quel que soit son degré de malaise, d’anéantissement, d’avancée libertaire, voire de démocratie, juge-t-elle du plaisir que peuvent prendre ou se donner ses membres ?

Seule, toujours ! Je n’ai envie de personne ! Je jouis seule devant une glace sans tain.

J’ai besoin d’imaginer que des hommes me regardent pour atteindre l’orgasme, des inconnus ! Ah, ce n’est pas tous les jours, mon extase n’est pas réglée comme une horloge malgré sa délicatesse et la complexité de ses rouages. Mais savoir que derrière ce reflet, des mâles peuvent à leur tour se branler en fixant mon sexe dévoilé, me permet d’accéder au paroxysme de la jouissance. J’ai fait installer un miroir ouvrant sur ma chambre, sur mes abysses intimes. Alors, telle une Madame Loyale, en uniforme chamarré découvrant des seins opulents qui attirent — je le constate — le regard des chalands dans la rue, j’invite au spectacle de ma nudité, à l’aventure de mes mains explorant chaque secret de mon anatomie.

De mes doigts qui parcourent les doux replis de chairs tendres, j’attends les incidences d’une mécanique qui n’est pas toujours infaillible. Je cambre mon corps, offrant à ces regards dissimulés le meilleur angle de mes courbes. Il est tendu et forme une arche de volupté. Le dos est vouté dans une contraction musculaire involontaire, brutale et inattendue tandis que mes reins se creusent et projettent mon ventre vers le ciel de lit. Je sens que ces messieurs bandent en me contemplant ainsi, qu’ils ont la bave aux lèvres, devant les miennes aussi humides et entrouvertes. Et de cette concupiscence ressentie, je tire la légèreté indispensable à mes orgasmes. Là, je crie, vitupère, éructe, presque violente, alors que mes phalanges pénètrent et fourragent, tantôt raides, sinon un peu recroquevillées pour toucher la face interne à l’unisson de mon clitoris et appuyer sur la rugosité de cette zone si sensible. Je suis secouée de spasmes terribles et jette mon bassin en avant dans une danse obscène, lançant ma vulve vers la vitre glacée, cherchant à provoquer encore plus les érections de mes compagnons inconnus. Quand je jouis une première fois, j’espère qu’ils retiennent leur foutre pour être encore en état de me mater derechef.

Je connais la question que tu te poses.
Si un de ces voyeurs tentait de me toucher, de me caresser, de me prendre pendant une de ces séances d’exhibition, ma jouissance retomberait aussitôt, comme un soufflé sortit maladroitement du four. C’est leur regard qui m’électrise, pas leur vice. Me sentir intouchable me procure tant de plaisir, cependant que leur phallus érigé n’est qu’une agression dont je me passe volontiers. Même leur visage tordu par l’envie ne me fait aucun effet. Alors que les savoir la queue raide et les yeux exorbités derrière ce miroir sans tain, hors de portée, est très excitant. Très excitant et rassurant aussi, je suis protégée, à l’abri dans une forteresse sous leurs œillades, mais loin des pointeaux qu’ils exhibent et qu’ils brandissent, prêt à me pourfendre, à m’ouvrir en partant de mon ventre offert et trempé. De mes cuisses sur lesquelles coule l’hydromel de mon sexe en fusion, je n’enserre rien qu’un amant imaginaire. Mais mes mains sont reines, mes doigts vont et viennent de plus en plus profondément, crescendo. Les soupirs que je ne retiens pas, les gémissements et les petits cris sont autant de coups de fouet à leur désir de me baiser. Et je ne suis pas à eux. Je ne le serais jamais. Je pénètre mon anus d’un auriculaire connaisseur, provoquant de nouvelles vagues de félicité qui m’amènent à crier. Je prends tant de plaisir à me faire jouir seule, sans autre contrainte que mon appétit et ma soif d’exhibition. Soif d’amour aussi : je veux qu’ils m’aiment quand ils éclabousseront la vitre du miroir, son côté obscur. Je réclame que leur sperme me divinise, qu’il me fasse une auréole imaginaire alors que je crispe une dernière fois mes cuisses sur le spasme final. En laissant mon corps s’affaler sur la couche, je suis parcourue de maints frissons.

Une fois rhabillée, Amélie quitte les lieux par une porte dérobée. Elle rentre fourbue et apaisée chez elle, ignorant le pas rapide de l’homme qui la suit.

[gris]Jip[/gris]

[gris]Illustration : Egon Schiele © droits réservés[/gris]

Commentaires (1)

  • Femme sablier

    Merci JIP d’exalter la masturbation et le voyeurisme.