Femme et homme, sans l’ombre d’une guerre

Le 07/03/2013

On pose toujours la question de « ou ». Femme ou homme. Oui ou non. Noir ou blanc. Divin ou scientifique. Etc.
Ce « ou » pose la question d’un système binaire basé sur une opposition conflictuelle, probable moteur de l’histoire en Occident, mais pas celui de l’Asie, de Rome, des sociétés arabo-musulmanes qui ont pris l’option d’un art érotique sans opposition particulière.
En Grèce, le sexe servait de support aux initiations de la connaissance, outil pédagogique, en quelque sorte.
Avec ce « ou », nous sommes conduits par un mode de pensée et une culture où il faut choisir son camp.
L’histoire, en Europe, a pris un autre tour après le concile de Latran, en 1215, lorsque la confession catholique cesse de demander que l’on parle de positions et d’attouchements. On accordait désormais de l’importance à la pénitence et la chair est devenue péché. Au XVIe siècle, la science à son tour s’intéresse aux affaires de sexe et au XVIIIe siècle, par l’intermédiaire des maladies de nerfs, la psychiatrie s’est mise à chercher du côté de l’excès. Ont suivi toutes sortes de sciences, biologie, psychologie, etc., avec pour objectif revendiqué que la sexualité assure le peuplement des nations et la force du travail. On a donc deux courants d’idées en parallèle, fonctionnant sur des oppositions très similaires, d’un côté le bienfait et le péché et de l’autre le normal et la pathologique.
D’un côté l’église a géré la sexualité conjugale et de l’autre la médecine a créé toutes sortes de pathologies. Dans les 2 cas un régime binaire que Michel Foucault résume aux notions de licite et illicite. On peut y ajouter aussi la séparation du corps et de l’esprit et peut-être que aller jusqu’à penser que le besoin de fracture dans la pensée religieuse comme en médecine ne se seraient pas forgée sur une même obsession : solidifier la très fragile frontière entre le masculin et le féminin. Par exemple, on a à un moment donné, au XVIIe siècle je crois, remplacé la notion de « sodomites » par celle « d ’homosexuels » dans le souci de dénoncer une forme « d’androgynie intérieure »*. On peut rapprocher cette notion du discours d’Aristophane dans le Banquet de Platon : à l’origine, hommes et femmes étaient doubles, avec quatre bras, quatre jambes, deux têtes et deux sexes. Les uns avaient deux sexes d’hommes, les autres deux sexes de femmes ; mais il y avait aussi les androgynes, qui avaient un sexe de chaque, « étaient doués d’une force et d’une vigueur prodigieuse » que leur enviaient les deux autres tiers de l’humanité. Zeus, dans sa sagesse, coupa tous les humains en deux, pour amoindrir leur force.
Avec Zeus disparaît en Occident l’idée de 3 types d’individus, lesquels ont continué d’exister dans d’autres cultures que la nôtre, et sur lesquels les ethnologues se sont ensuite beaucoup penchés.
D’une certaine façon, le Talmud raconte des histoires presque similaires. Par exemple, lorsqu’en parlant de Lilith, la première femme d’Adam. Elle a été répudiée par Adam pour de multiples raisons, dont la demande inacceptable pour lui de ne pas se tenir sous lui quand ils faisaient l’amour, dans la « position du missionnaire ». Sur lui, elle n’était plus passive, contrôlée, donc féminine. Façonnée par Dieu comme Adam et non née de la côte de ce dernier, elle refusait de se laisser dominer et revendiquait l’égalité et le partage des pouvoirs. « Souviens-toi, lui disait-elle, nous avons été pétris dans la même argile, nous étions une seule et même créature à deux dos, que le Seigneur a séparé en deux ». Elle n’est donc pas comme Eve issue d’une côte d’Adam mais entière. Et nous avons à nouveau, comme avec Aristophane, l’idée d’une androgynie de départ, avec un besoin de pouvoir, entre guillemets, masculin. Cette idée se poursuit d’une certaine façon lorsque Adam et Eve sont ensuite chassés du paradis, puisque, là, Adam fut séparé d’Ève, et vécut seul pendant 130 ans. Une autre légende du Talmud raconte que pendant ces longues décennies, Adam se livrait à la masturbation. Ses gouttes de sperme, poétiquement comparées à des « étincelles de hasard* » furent considérées comme maléfiques car elles donnaient naissance à toutes sortes d’esprits, pernicieux ou espiègles, puisque non conçus dans la matrice conjugale, c’est-à-dire à deux, dans un système binaire.
Freud lui-même ne s’est guère éloigné, parlant d’un double appareil sexuel pour les femmes, : « Un homme n’a en somme qu’une seule zone génitale prédominante, un organe sexuel, tandis que la femme en possède deux : le vagin qui est proprement féminin et le clitoris analogue au membre viril. »

- Si on accepte que la question qui occupe le monde occidental est de savoir ce qui différencie un homme d’une femme, en opposition à vouloir savoir ce qui fait l’harmonie entre un homme et une femme, c’est à dire l’état où la femme est au plus près d’être un homme et l’état ou l’homme est au plus près d’être une femme selon l’approche de Freud,

- Si on accepte ce que la science révèle sans trop en parler, à savoir que les hommes ont des oestrogènes et des femmes de la testostérone, en quantité moindre que l’autre sexe, certes, mais de façon significative, tout de même,

- Si on accepte que sans recourir à la palingenèse telle que nous la raconte Aristophane, il y a en l’un toujours un peu de l’un dans l’autre et que d’une certaine façon, cette complétude originelle revient depuis le début du XXe siècle sur le devant de la scène : de l’apparence vestimentaire à la transformation des corps, une partie sans cesse grandissante de la population adopte les codes de l’autre et, ce faisant, estompe ou brouille les lignes de démarcations,

On doit alors pouvoir accepter que les rencontres amoureuses et sexuelles sont placées sous le signe de la complémentarité et non pas de l’opposition et que la guerre des sexes n’est au fond peut-être que le reflet de la nature conquérante des Européens qui, ayant cessé de coloniser des terres, colonisent encore avec des idées, qui se révèlent peut-être périmées, en désuétude ...

[gris]Sophie Bramly[/gris]

* Michel Foucault « Histoire de la sexualité » Vol.1
** Henri Atlan « Les étincelles du hasard »