Erika Lust
Le 16/04/2009
Erika Lust, née en Suède mais espagnole d’adoption, est à 31 ans l’une des pionnières en matière de pornographie féminine. Diplômée de sciences politiques, spécialisée en féminisme, elle a étudié l’impact du sexe et du féminisme sur les médias et la culture populaire. En 2004, elle réalise et produit The Good Girl, un court-métrage explicite pour les femmes (maintenant inséré dans le DVD Five Hot Stories for her, sorti en avril 2007 et régulièrement primé dans les festivals à travers le monde). Cette année, elle finalise son dernier film, Barcelona Sex Project, un documentaire pour adultes, dressant le portrait de trois hommes et trois femmes, jusque dans leur intimité la plus totale. Frimousse d’adolescente et énergie de femme d’affaires, Erika Lust nous a séduites avec ses films pour femmes et pour couples. Laissons-lui la parole sur ce dont elle connaît le mieux : les femmes, le sexe, les films.
Vous sentez-vous seule dans ce renouveau du cinéma pornographique au féminin ou d’autres réalisatrices ont-elles les mêmes envies que vous ?
Si jétais seule, ça m’effraierait ! Ca voudrait dire que je serais peut-être folle… Non, non seulement je ne me sens pas seule, mais il y a de plus en plus de réalisatrices qui ont une approche différente et intelligente du divertissement pour adultes. J’aime particulièrement le travail de Tristan Taormino, Maria Beatty, certains films de Candida Royalle, Caroline Loeb, Venus Hottentot et Eva Midgley. Il y en a beaucoup d’autres qui y travaillent et il y en aura encore plus dans l’avenir. Les femmes doivent entrer de plain pied dans le divertissement pour adultes pour le redéfinir ! Les femmes doivent se charger de leur propre représentation à l’écran, de la même façon qu’elles ont dû investir la scène politique pour veiller à ce que leurs droits et leurs intérêts soient respectés.
Comment définiriez-vous votre cinéma ? En quoi est-il différent du porno d’hommes ?
Les femmes veulent un cinéma explicite à certaines conditions. Je sais juste ce que les femmes comme moi et mes amies ne VEULENT PAS voir dans un film porno : du machisme, des mafieux, des armes à feu, des prostituées, de grands manoirs, des filles siliconés, des voitures de luxe, des plages de nababs aux Maldives… Nous n’avons pas besoin de tout ça pour être excitées, nous voulons des gens réels dans des situations réalistes, et nous voulons savoir ce qui amène ces gens à faire l’amour. Beaucoup d’hommes veulent des sodomies, des fellations, des branlettes espagnoles, du porno pervers et libidineux... Et je sens que les femmes sont plus au coeur de l’intimité et de la psychologie, nous voulons voir du sexe au lieu de voir du porno. Mais encore une fois, nous sommes tous différents avec nos propres goûts, et nous avons besoin que de plus en plus de femmes nous montrent ce qu’elles sentent et ressentent, filmant le sexe de la façon dont elles aiment le faire.
A quoi reconnaît-on que vos films sont des films de femme ?
Je suis une femme, mon équipe est constituée d’une majorité de femmes, et nous filmons ce que nous aimerions voir. Partant de là, il y a une énorme différence avec le porno fait par des hommes. Mais la principale différence, c’est qu’un film de femme n’est pas un film macho. C’est un film montrant le désir et le plaisir féminin. Un film où les femmes sont considérées comme des être humains et pas seulement comme des objets au service du plaisir des hommes.
Pensez-vous qu’une pornographie spécifique à la femme peut vraiment exister ou est-ce juste une autre qualité de films qui peut séduire les hommes aussi ?
Est-ce que les magazines féminins existent vraiment ? Est-ce que les vêtements pour femmes existent vraiment ? Y a-t-il une différence entre un écrivain homme ou une écrivain femme ? Quelle est la différence entre Elle et GQ ? Pourquoi les grandes marques de cosmétiques ont-elles une ligne dédiée spécifiquement aux hommes en plus du traditionnel marché féminin ? Les hommes sont les hommes et les femmes sont les femmes. Nous SOMMES différents. Le feminisme, ce n’est pas vouloir être semblables, mais vouloir avoir les mêmes droits et les mêmes opportunités que les hommes. Une femme filmera TOUJOURS le sexe avec une vision différente, parce que nous n’avons pas les mêmes organes sexuels. C’est tout ! Mais bien sûr, beaucoup d’hommes aiment le porno pour femmes parce que la plupart des films sont plus innovants et plus créatifs. Le problème avec le courant dominant du porno, c’est que les réalisateurs et les producteurs sont un groupe homogène d’hommes blancs hétérosexuels d’âge moyen, qui ont tous pratiquement les mêmes goûts en matière de sexe. Mais il y a une quantité d’autres hommes qui ne reconnaissent pas leur sexualité dans ce genre de cinéma.
Avez-vous de temps en temps des doutes sur la “graduation sexuelle” : pas assez ou trop explicite ?
Bien sûr ! J’adore les films fétichistes, fort et dérangeants de Belladona. Elle tourne à sa façon et sa vision va forcément influencer mes films. J’adore ça ! J’adore le fait que nous avons toutes une voix. Et même si certaines femmes vont faire du gonzo pur et dur, d’autres vont faire des films érotiques sentimentaux et romantiques. Mais le plus important, c’est qu’il faut maintenant compter avec nous, s’exprimant avec notre propre voix.
Que pensez-vous de la sexualité féminine ? Pensez-vous que nous sommes aujourd’hui libres d’exprimer nos désirs ?
Dans les pays occidentaux, nous sommes quasiment libres, mais ce n’est pas le cas dans le monde entier. Nous ne devons pas oublier qu’une grande part de la population féminine mondiale est extrêmement muselée par les hommes, principalement en Afrique et en Asie, et encore plus fortement dans les pays musulmans.
Vos casting sont-ils différents des castings dans un porno d’hommes et si oui, en quoi sont-ils différents ?
Oui, ils sont différents. Je recherche d’autres aspects que la plupart des hommes réalisateurs, je recherche le “feeling” entre les acteurs et moi ainsi qu’entre les acteurs entre eux. Je recherche des gens frais et naturels qui peuvent insuffler la sexualité. Les casting sont calmes et professionnels, personne n’essaie de baiser avec les acteurs ou les actrices. Le porno féminin est un milieu exempt de drogue, de proxénète et de prostituée.
Quel est votre plus grand plaisir dans ce métier ?
C’est sans aucun doute le processus de création de mes futures productions. Après cette étape, tout devient très logistique : le timing, les horaire, le tournage (qui n’est pas aussi drôle que ce que les gens s’imaginent), la post-production, les ventes,…
Avez-vous l’impression que vous avez une mission auprès des femmes ?
Je n’ai pas du tout l’âme d’une grande prêtresse ou d’un gourou ! Je pense juste que les rôles stéréotypés que les hommes de l’industrie du porno nous ont attribué ces 20 dernières années sont franchement offensants pour une femme moderne. Je suis fatiguée des salopes de Sharon, des adolescentes en chaleur, des grand-mères obsédées sexuelles, des ménagères désespérées, des nounous bombasses, des prostituées nymphomanes et des héroïnes de gang-bang (ces femmes sont les partenaires sexuelles idéales des hommes – leurs héroïnes sexuelles). Je veux seulement que finalement il y ait quelques films sur le marché qui aient un point de vue féminin. Si ma fille (qui a aujourd’hui 1 an et demi) regarde un porno dans 12 ans, dans un processus naturel d’apprentissage de la sexualité, je veux qu’elle puisse trouver des films à caractère sexuel intelligents, féminins, cool et naturels. C’est tout ! Nous ne devons pas oublier que le porno est plus que simplement du porno, c’est un discours sur la sexualité, et si nous, les femmes, ne prenons pas part à ce discours, (en tant que créatrices, réalisatrices et productrices), nous devrons accepter que ceux qui parlent de sexe seront uniquement des hommes comme Nacho Vidal, Rocco Siffredi, Marc Dorcel, Private, …