Désir et mensonge
Le 03/07/2009
Si la mention « Tu ne mentiras point » fait bien partie des 10 commandements, il faut cependant admettre qu’aujourd’hui mentir c’est produire de la fiction, et produire de la fiction c’est faire fonctionner la machine à fantasmes. Désir et mensonge entretiennent ainsi un rapport plus qu’étroit. Que l’on mente à son partenaire, que l’on se mente à soi-même ou encore que l’on utilise le mensonge comme atout social, les facéties mensongères ont leur place dans notre quotidien affectif, c’est indéniable. Le dictionnaire en donne la définition suivante : « Le mensonge est l’énoncé délibéré d’un fait contraire à la vérité, ou encore la dissimulation de la vérité, le mensonge par omission ». Le mensonge est une forme de manipulation, il fabrique du désir aussi. Le philosophe Bernard Stiegler, dans Aimer, s’aimer, nous aimer, considère que le mensonge est la pierre fondatrice des sociétés. Ne serait-il pas la pierre fondatrice du couple ?
Désir et mensonge
Pour la psychanalyse, le désir participe à l’élaboration du mensonge. Parce que le désir ne peut-être transmis que par le biais de la parole, (mots doux susurrés dans le creux de l’oreille, déclaration impétueuse, mots suggestifs…) il s’expose à n’être pas restitué dans son authenticité, avec toutes les modulations que cela impliquerait. Le désir est quelque chose de tellement fort et trouble, il flirte avec une telle somme d’interdits, de tabous, qu’il ne serait donc pas restituable, ni verbalisable dans son entièreté. Ainsi communiquer son désir c’est le falsifier, l’apprêter afin de le proposer de manière aseptisée et modifiée à l’autre de manière acceptable. Le sujet ne dit pas la vérité sur son désir. Les formations de l’inconscient, (symptômes, rêves, lapsus), sont une langue qui permet d’exprimer le refoulement : l’inconscient n’est vérifiable que par ses ratés. Le mensonge est une manière de dévoiler un peu de soi tout en préservant les zones plus obscures, celles que l’autre pourrait ne pas comprendre, ne pas accepter. Les zones d’ombre dont on préfère refuser l’accès à l’autre. Une manière de se présenter sous son meilleur jour. Savoir mentir à bon escient c’est aussi apprendre à se préserver. « À la racine du mensonge se trouve l’image idéalisée que nous avons de nous-mêmes et que nous souhaitons imposer à autrui. » Anaïs Nin, Journal
Le mensonge social
Mentir sur ses conquêtes est chose courante pour la gente masculine. Les hommes mentent en rajoutant (+ de conquêtes, + d’orgasmes, + de fréquence des rapports…), en ce qui concerne les femmes c’est l’inverse (à de très rares exceptions près). Moins les autres en savent et plus l’espace de liberté va en augmentant. Qu’est-ce que cela nous révèle à propos de notre société ? Qu’elle va certainement plus vite que les gens qui la composent. Que nous n’en sommes pas encore arrivés à ce degré de libération des mœurs. Le discours quotidien diffusé par la presse, les médias, les magazines féminins, véhicule l’image totémique d’une femme libérée, totalement décomplexée, d’une femme que l’on doit simuler, fantasmer. En réalité les femmes ont tendance à rester discrètes en ce qui concerne leur tableau de chasse pour se préserver des jugements un peu hâtifs et bien moins valorisants que pour les hommes. On est encore prisonniers de vieux schémas toujours effectifs : l’homme viril enchaînant les conquêtes est un cliché sur-valorisé.
Quant à la femme « bien comme il faut » c’est plus souvent celle qui se marie et fonde un foyer, en ce qui concerne l’opinion publique, en tout cas. Peggy Sastre en parle dans son ouvrage Ex Utéro, pour en finir avec le féminisme. Elle nous précise que, malgré le discours actuel, les femmes sont différentes des hommes, elles n’ont pas le même corps et cela implique des différences notables. « Elles possèdent un corps avec une histoire biologique évolutive et culturelle différenciée, des significations et des symboles autres, ancrés dans la matrice spécifique d’un sexe originellement fait pour assurer la reproduction de l’espèce. » Effectivement, chez les hommes, plaisir et reproduction ont toujours été clairement dissociés, tandis que les femmes ont longtemps été réduites physiologiquement à leur sexe et à sa fonction reproductive. Le plaisir de la femme est un sujet de préoccupation relativement récent et pas toujours général ! Il existe donc un décalage entre utopie d’une société décomplexée et pression historique encore fortement influente. Si mentir peut représenter une étape avant la transformation réelle des mentalités, pourquoi évacuer le problème de l’application de ces changements au réel ?
Couple et mensonge
« Tous les êtres humains mentent au moins deux fois par jour » affirme Claudine Biland dans son ouvrage Psychologie du menteur. Elle y précise que le mensonge fait partie intégrante d’une relation qui débute, chacun cherche à se mettre en valeur pour susciter le désir de l’autre, pour l’attirer, pour l’exciter aussi. Il est évident que nous avons toutes menti, à un moment ou un autre, à notre partenaire. Sur l’intensité du plaisir éprouvé, sur notre libération sexuelle, sur notre ouverture d’esprit, sur notre emploi du temps, sur les jeux de séduction avec d’autres hommes… Jacques de Bourbon Busset dans L’amour durable, affirme que toute relation conjugale profonde doit comporter, par respect de l’autre, ce type de mensonge officieux qui, loin de constituer une injure à l’autre, lui épargne au contraire les conséquences non signifiantes d’une baisse momentanée de ses propres sentiments. Faire part à l’autre de cette chute passagère serait aussi un illusoire puisque cela n’est pas représentatif de la situation dans le temps. « La vérité est un symbole que poursuivent les mathématiciens et les philosophes. Dans les rapports humains, la bonté et les mensonges valent mieux que mille vérités. » Graham Greene, Le fond du problème.
Nous ne pouvons pas non plus nous empêcher de nous valoriser en fantasmant sur notre partenaire, en nous inventant des histoires et des scénarios érotiques pour stimuler notre désir, en lui faisant croire, et en nous faisant croire aussi, que nous sommes courtisées par d’autres partenaires afin de mieux réveiller nos ardeurs mutuelles décuplées pour l’un par la jalousie et pour l’autre par l’interdit. On ment encore lorsque, dans les bras de l’habitude, on rêve à un autre pour atteindre l’orgasme. Le mensonge à l’autre a de multiples facettes, mais dans tous les cas il nous permet de sublimer l’autre, comme nous-même.
Se mentir à soi-même
Pour s’assurer de l’effet que l’on souhaite produire sur nos partenaires, nous sommes prêtes à nous glisser dans la peau d’une autre. Plus sensuelle, plus audacieuse, elle oserait des choses que nous ne pensons pas être capable d’oser. On se maquille, on utilise des crèmes antirides, on porte des chaussures à talons-hauts, des soutiens gorges pigeonnants, on boucle des cheveux raides ou bien on défrise des cheveux bouclés… Autant de subterfuges qui permettent d’entrer dans le rôle de la femme fatale, de la bombe sexuelle... Et pourquoi pas, de le devenir ? Un arsenal de la séduction qui permet de se concentrer sur soi, de s’auto-érotiser, de fantasmer et de se préparer au plaisir avec l’autre. Une manière de se libérer des carcans : « puisque je suis maquillée ce n’est plus vraiment moi, mais ma création, cette femme sublime qui séduit et joue de son pouvoir d’attraction sur les autres ». Et cette femme peut donc se permettre de prendre et de donner du plaisir à l’autre.
En revanche, mentir au lit en croyant mentir à l’autre, c’est se mentir à soi-même. Dire qu’on a du plaisir quand on n’en a pas, c’est le meilleur moyen de s’enferrer dans cette situation ! En revanche, les miaulements, feulements et autres cris de bonheur stimulent même s’ils sont un peu exagérés. Dans les prémices d’une relation sexuelle, en particulier lorsqu’on est jeune, on doute de soi, de son désir et de celui que l’on éveille chez l’autre : est-ce que je fais une fellation tout de suite, est-ce que je me laisse sodomiser ? De quoi ai-je l’air si je le fais ? Même et surtout lorsqu’on en a envie, on a peur du jugement de l’autre, d’être (ou de ne pas être) une femme qui aime le plaisir. On a du mal à se rassurer en pensant que le partenaire aussi est assailli de doutes (est-il assez performant ? son sexe est-il assez grand...). La spontanéité sexuelle, l’acceptation de son désir vient souvent avec l’âge et c’est aussi la raison pour laquelle certains sexologues pensent que les femmes connaissent mieux l’orgasme après 30 ans. Et celle pour laquelle certains hommes recherche la compagnie de femmes mûres qui, n’ayant plus rien à se prouver, assument leur désir.
Mentir n’est pas jouer ?
A force d’accorder une place prépondérante à notre représentation sociale, à force aussi de vouloir caler notre désir sur des normes, nous risquons de nous éloigner de notre moi et de ne plus reconnaitre où se situe notre désir. Se travestir, jouer avec soi-même et avec l’autre pour s’autoriser à éprouver du plaisir, oui ! Mais ce travestissement ne doit pas non plus devenir un empêchement à la jouissance. Question délicate qu’il faut savoir savamment doser, avec les bons ingrédients pour composer un philtre délicieusement subversif : celui du plaisir.
[gris]Saskia Farber[/gris]
Commentaires (3)
Mais alors, si je mens sur mon amant, c’est juste pour sauver mon couple ? Comme c’est bon à lire...
Magnifique papier, un peu trop axé côté FEMMES cependant... Mais bon c’est l’objet du site alors on ne vous en veut pas...
Je suis d’accord. Magnifique papier. Une vraie libération.