De sang et de sexe
Le 04/11/2024
Pour avoir des rapports sexuels pendant les règles, il faut avant tout arriver a surmonter quelques ancestraux obstacles, qui ne sont pas tant physiologiques que psychiques, d’ordre symbolique. Aussi loin que l’on remonte dans l’Histoire, on trouve d’étranges tabous autour des menstrues, lesquels impactent encore notre libre-arbitre et - paradoxalement - plus le temps passe, plus l’interdit pèse sur les mœurs.
En Mésopotamie, par exemple, les menstruations étaient associées à la déesse Inanna (ou Ishtar), une divinité de l’amour, de la fertilité et de la guerre. Elle subit une série de transformations lors d’une descente aux Enfers, laquelle est interprétée comme une référence au cycle menstruel et aux forces de renouvellement. Il n’y a pas encore d’interdictions, mais c’est le signal d’un moment différent.
Dans l’ancienne Égypte, le sang menstruel avait une connotation ambivalente, vu comme à la fois impur et source de puissance magique. il n’y a pas de mythe égyptien attestant explicitement de rapports sexuels durant les règles, mais certains rituels associés à Isis et Osiris font allusion au pouvoir du sang pour la fertilité et la régénération, tout comme leurs voisins de Mésopotamie. Isis, déesse de la magie, utilise souvent des pratiques impliquant le sang, ce qui peut inclure symboliquement le sang menstruel dans certains rites de régénération.
Les choses commencent à se gâter dans la Grèce Antique, où l’on a pensé que le sang cataménial était impur. Cela n’empêchait pas de vouer des cultes de fertilité à Déméter et sa fille Perséphone à travers des rituels où le sang menstruel jouait un rôle symbolique pour invoquer la fécondité de la terre. Mais
Hippocrate, considéré comme le père de la médecine occidentale, veillait au grain : il voyait les règles comme un déchet toxique pour les autres organes. L’expulsion du sang permettait, selon lui, de tempérer le corps « trop chaud » des femmes.
Chez les Romains, le sang menstruel était perçu comme nocif et on lui attribuait des pouvoirs maléfiques. Pline l’Ancien parle de « dangerosité » dans son Histoire Naturelle. Pour lui, sans retenue aucune, le sang des menstrues était néfaste pour l’environnement et pouvait rendre fous les animaux domestiques.
On retrouve ce sang impur (qui abreuve nos sillons ?) dans l’Ancien Testament. Le Lévitique interdit explicitement les rapports sexuels pendant cette période (Lévitique 15:19-24). C’est la femme toute entière qui devient impure pendant ses règles, et tout homme ayant des rapports avec elle était également considéré comme impur. Avec cette interdiction, c’est toute la culture judéo-chrétienne qui pendant des siècles prive les femmes d’extases particulièrement profondes. Nous allons y revenir...
L’Inde ne fait guère mieux avec le Mahabharata, livre sacré. On y trouve Indra, le roi des dieux, tuant un brahmane et dès lors frappé de malédiction. Pour expier son péché, Indra distribue la culpabilité entre plusieurs entités, dont les femmes, qui dès lors portent la malédiction sous forme de menstruations. La conséquence dans certaines traditions, c’est l’interdiction les rapports sexuels pendant les règles. Certains cultes tantriques transgressent ces interdits dans un but rituel de transformation et de transcendance. Dans d’autres traditions, la femme doit quitter la maison et vivre ailleurs pendant le temps des règles.
Dans de nombreuses tribus d’Indiens d’Amérique du Nord, les menstruations sont perçues comme un temps sacré, durant lequel la femme est investie d’un pouvoir spirituel accru. Chez eux, les rapports sexuels étaient généralement évités pendant cette période pour respecter cet état de puissance, certains récits attribuent au sang menstruel un pouvoir spirituel capable d’influencer la fertilité et la guérison. Le respect du sang menstruel, plutôt que son interdiction, est parfois mis en avant dans ces cultures. Mais le résultat est à peu près le même...
Et petit à petit on retrouve à peu près partout - et surtout dans les livres religieux - l’idée que pendant leurs règles les femmes sont impures, doivent se tenir à l’écart de la nourriture du reste de la famille, et il faut les tenir à l’écart des lieux de cultes. Dans certaines religions, certains rites imposent ensuite de se "laver" de ces impuretés avant de revenir à la "vie normale".
On comprends dès lors ce qui tient certains hommes à distance de femmes dites "indisposées". Le sang rouge vif du combat est préférable à celui plus sombre qui sort d’entre les cuisses féminines. Ces mythes et légendes tiennent à une approche androcentrique, qui court depuis des siècles et faiblit à grand peine. Thomas Buckley et Alma Gottlieb racontent dans leur livre Blood magic. The Anthropology of menstruation (Sang magique, anthropologies des menstrues,) que ce que cela raconte, c’est avant tout la subordination des femmes dans la société.
La réalité des femmes est aux antipodes des craintes masculines, car faire l’amour pendant les règles offre de nombreux bienfaits :
Les orgasmes peuvent diminuer les crampes menstruelles. Celle-ci sont liées aux contractions utérines qui permettent l’expulsion du sang. Parce que des contractions similaires se produisent pendant l’orgasme, cela peut diminuer les douleurs. Par ailleurs, pendant l’orgasme, la production de neurotransmetteurs augmente, donnant une sensation générale de bien-être. Les contractions musculaires peuvent également aider à expulser plus rapidement le sang et ainsi réduire la durée des règles. Enfin, ces orgasmes rouges peuvent réduire les migraines chez celles qui en souffrent.
Les hormones étant à des taux plus élevés pendant les règles, le sang circule mieux dans le pelvis et augmente ainsi la libido et parfois aussi l’intensité des orgasmes.
Le sang menstruel a d’autres avantages : c’est un lubrifiant naturel. Mais pour celles - et ceux - qui n’arrivent pas à surmonter une forme de dégoût ou tout simplement la crainte de salir les draps, il existe des solutions comme les coupes menstruelles. Nous ne les avons pas testées, mais la marque Intimina propose une Ziggy Cup, premier disque menstruel conçu pour faire l’amour sans risques de salissures. Semblable à un diaphragme, il se place sous le col de l’utérus pour récolter le sang menstruel sans gêner le pénis (ou tout autre objet de forme oblongue) lors de la pénétration. Il est en silicone de qualité médicale, flexible, avec une surface striée pour la retirer sans glisser et disponible en deux tailles.
Si malgré cela, les réticences de partenaires se maintiennent, il reste les joies de la masturbation dans les mêmes conditions. Car il ne faut se priver ni des joies d’une libido vivace, ni d’orgasmes plus intenses, ni du bénéfice de règles plus courtes et d’un bien-être sans égal...
© Illustration : Lucio Fontana - Concetto Spaziale (Rouge)
et Ziggy Cup d’Intimina.