Guillaume Perrotte
Le 20/04/2009
Chaque matin, une fois que sa femme est partie travailler et qu’il a accompagné ses enfants à l’école, Guillaume Perrotte se met devant son ordinateur pour écrire... des romans érotiques ! Contrairement à nombre de ses confrères, c’est le sexe dans la vie de couple qui l’intéresse. Baisse de libido, infidélité ou besoin de réveiller une sexualité monotone, ses héros passent par des épisodes des plus troublants, en quête de cet obscur objet du désir. Les conjoints tantôt s’excitent, se frustrent, en se racontant par téléphone leurs aventures érotiques alors qu’ils sont séparés, tantôt s’exhibent dans l’arrière-salle d’une boîte échangiste. Si la douleur qu’ils s’infligent régulièrement demeure cérébrale, leurs unions - comme l’émoi qu’elles suscitent - sont bien charnelles. Mais dans tous les cas, au fil de ces pages licencieuses, la domination sur l’autre reste le maître-mot...
Comment passe-t-on de publicitaire à écrivain de nouvelles érotiques ?
En fait, j’ai commencé par travailler comme cinéaste pour des films de publicité et j’ai écrit un long métrage, qui ne s’est finalement pas fait. Mais j’ai une formation de scénariste et j’ai réalisé que mon truc, c’était vraiment l’écriture. Ensuite, c’est ma femme qui m’a poussé à écrire des romans. Concernant le genre érotique, c’est vrai que ça m’a toujours attiré. C’est le côté extrême qui m’intéresse, à condition qu’il y ait une véritable histoire. Dans mes livres, il y a une base de récit, bien que cela reste de la fiction, ce n’est pas autobiographique. Je parle de moi dans mes romans, mais comme tout auteur. Je redistribue les cartes, je me sers de moi, de mon vécu. C’est ce qu’il y a de plus fort quand même. La limite entre la réalité et la fiction peut être assez floue, en même temps, c’est ce qui m’intéresse.
Avez-vous fantasmé sur des lectures libertines plus jeune ? Lesquelles ?
Des lectures, non pas vraiment. Plutôt sur des magazines. Mon père travaillait dans la pub et il recevait des revues comme Playboy, Lui, Mayfair et Penthouse gratuitement.
Aviez vous déjà écrit auparavant ?
Oui, j’avais écrit différents types de scénarios. Je faisais un peu le consultant pour d’autres projets scénaristiques.
Vous êtes un écrivain de la sexualité de couple, ce qui est assez rare. Pourquoi ? Les célibataires ne vous intéressent pas ? Vous désirez à ce point briser la routine ?
Encore une fois, je m’intéresse à ce qui m’entoure. Cela fait vingt ans que je vis avec ma femme, j’ai trois enfants. La vie de couple, c’est une aventure pleine de pièges, de chausses-trappes. Elle peut être à la fois palpitante et ennuyeuse. En littérature érotique c’est assez rare car les scènes de sexe ont souvent lieu en coup de vent. La vie de couple m’intéressait comme sujet justement parce que c’est assez rare dans ce genre. Quitte à la fantasmer. Ce qui est rigolo, c’est que j’ai une vie familiale très carrée. Ma femme travaille dans la pub. Du coup, je m’occupe des enfants : l’école, les devoirs... En même temps, le matin je prends mon ordinateur et j’écris. Votre 1er livre, "Proposition perverse", nous plonge dans la descente aux enfers d’un homme et de son couple par la perversion masochiste. Pourquoi malmenez-vous autant les hommes amoureux ? C’est forcément leur lot ? Non, pas forcément. Ce n’est pas à généraliser. J’ai voulu imaginer l’enfer d’une jalousie maritale, qui est en même temps extrême et sans retour. Le héros souffre mais tire en même temps un intense plaisir de sa souffrance.
Vous abordez dans vos livres des pratiques sexuelles comme le triolisme, l’échangisme et le masochisme. Vous mettez-vous des limites ?
Ca dépend du thème et de l’histoire, mais de manière générale, je ne me mets pas de limites. A partir du moment où une certaine pratique correspond à la scène, je l’écris. Même si ce que j’écris ne me correspond pas forcément. J’essaie de ne pas avoir de tabou en écriture. Je peux en avoir dans la tête, c’est autre chose. Mais mon objectif n’est pas de mettre des gens dans l’embarras, je ne veux pas créer des polémiques, ça ne m’intéresse pas. Je n’écris pas pour le plaisir de choquer. S’il y a une scène en trop, j’essaie de la retirer ou mon éditeur me le signale et on en discute.
La relève de la littérature érotique est assurée par les femmes depuis le mouvement amorcé par Françoise Rey et sa "Femme de Papier" et Alina Reyès et son "Boucher". Comment l’expliquez-vous ? L’évolution des mœurs ? A part Esparbec, très peu d’hommes sont aujourd’hui connus pour leur production érotique...
Je ne sais pas. Mais à mon sens, et sans être sexiste, la littérature érotique que font les femmes est souvent un peu barbante. Beaucoup de femmes reviennent à des trucs des années 70-80, que je trouve assez décevants. J’essaie de faire quelque chose de plus moderne. Ce qui m’intéresse c’est le côté thriller, polar, le rythme du roman. J’ai envie de créer un érotisme moderne. Après, si ça ne passe pas, tant pis, j’aurais essayé.D’ailleurs, quel succès vos oeuvres rencontrent-elles auprès du public ?
Mon premier livre a bien marché. J’ai fait une trilogie autour du couple, je pense que sur la durée cela peut donner quelque chose. Cela peut prendre des années, mais je ne m’inscris pas sur une période d’un trimestre. D’ailleurs, pour mon éditeur c’est un pari sur l’avenir. Je voulais vraiment être publié chez les éditions Blanche et, après plusieurs essais, Franck Spengler (le directeur éditorial, ndla) a accepté Proposition perverse. Il n’y a pas eu de piston.
On retrouve souvent des rimes dans votre écriture. N’avez-vous pas l’impression de mélanger romanesque et poétique ?
Je n’y pense pas du tout, mais j’essaie de donner à mes textes un côté littéraire, de ne pas adopter, justement, une écriture de femme où tout est comparé à tout. Ce qui est assez gonflant, même s’il y a des choses que j’aime bien dans le lot. J’essaie de faire quelque chose de différent, qui ne soit ni trop métaphorique, ni trop direct. Je tente aussi d’éviter les séquences gratuites. La surenchère ne m’intéresse pas : elle est trop facile à faire. Mon but est peut-être similaire aux séries noires de Gallimard, mais dans l’érotisme. J’ai une écriture plutôt noire, tout en intégrant des scènes troublantes. Elles peuvent choquer, mais ce n’est pas le but. Ce qui m’intéresse, c’est de trouver une sincérité dans cette crudité. En même temps, j’essaie d’être sincère dans mes livres, mais sans que ce soit ma vie privée - qui ne regarde que moi.
A Second Sexe, nous sommes deux à avoir lu vos trois livres. La rédactrice en chef, qui est une femme et qui a 37 ans, et moi, qui suis un garçon et qui en ai 26. Nous avons tous les deux préféré votre dernier livre, "Sex Addict". Pourquoi à votre avis ?
Je ne sais pas. C’est peut-être le plus ancré dans l’ère du temps. Mais tout le monde ne partage pas votre opinion. On m’a dit qu’il était vraiment très extrême. Ce n’est pas forcément le plus réel de mes livres. Bien sûr, il y a toujours un fond. J’aime bien partir d’une situation réelle, que je peux comprendre, même si ce n’est pas quelque chose que je vis. J’aime bien jouer avec les masques.
Pour nous, la scène d’anthologie de votre oeuvre est ce corps-à-corps devant la projection des films de leurs parents. C’est impensable et incroyable en même temps. D’où vous est venue cette idée ?
Mon éditeur m’avait dit : "là ça part dans le gros délire". Je lui avais répondu qu’on pouvait l’enlever, s’il le voulait. Mais il a réagi en disant : "pas du tout, tu le laisses, c’est autre chose". C’est peut-être quelque chose qui remonte à mon enfance : avec des copains on regardait des films en 16 mm de leurs parents en train de faire l’amour. C’était mes premiers films X amateurs. J’ai un souvenir assez marquant de ça. C’était vraiment des découvertes d’enfants, une sorte de révolution. J’ai essayé de retranscrire ça.
Dans vos trois livres, l’image de la femme est la même. Une sexualité débridée qui s’ignore et il suffit d’un révélateur extérieur au couple pour que ces femmes deviennent insatiables. Pensez-vous vraiment que la femme ne puisse pas avoir une sexualité ludique avec son mari dès le début ?
Si, c’est possible. Mais les histoires de mes romans démarrent à partir du moment où cette sexualité échappe au couple. Maintenant, dans la réalité, je n’en sais rien. Je ne suis pas du tout échangiste, cela me sert juste dans mes intrigues, parce qu’au sein des couples, dans mes histoires, ça peut être utile. Mais c’est une pratique qui ne m’excite pas du tout, personnellement.