Emmanuel Pierrat

Le 09/03/2009

Emmanuel Pierrat, avocat et écrivain, a consacré une partie de sa vie à constituer sa propre collection de livres et manuscrits érotiques, aujourd’hui convoitée par de nombreux collectionneurs. Bibliophile averti et passionné depuis son plus jeune âge, il s’est nourri de toutes les anecdotes qui jalonnent le parcours de la littérature licencieuse : sa clandestinité, ses écrivains et leurs pseudonymes, ses mystères de publication. Il nous livre l’historique de quelques-uns de ses recueils choisis.

Ragionamenti de L’Arétin

Disponible aux Belles Lettres (édition bilingue en deux tomes, 1998 et 1999).

Le palais vénitien de Pietro Aretino abrite un véritable harem. Il raffole des jeunes femmes du peuple et se vante, en outre, d’user mensuellement les services d’une quarantaine de prostituées… en sus de ses nombreuses concubines. C’est là, entouré de celles que la ville surnomme les « Arétines », qu’il rédige de 1534 à 1536 les Ragionamenti. Ces « raisonnements » - dédicacés à sa guenon… - sont constitués de dialogues féminins aussi enjoués que crus. Il publie également des vers érotiques, souvent connus en français sous l’intitulé de Sonnets luxurieux.

Lettres à la présidente de Théophile Gautier

Disponible aux éditions Mille et une nuits, 1997.

Théophile Gautier se lance assez vite dans la rédaction de textes grivois, tel que La Mort, l’apparition et les obsèques du capitaine Morpion. Gautier rencontre Apollonie Sabatier à l’occasion du salon littéraire que tient le dimanche celle surnommée « la Présidente ». Elle vit aux dépens du financier Mosselman, pose nue pour le sculpteur Clesinger, etc. En 1850, Théophile lui envoie une première « lettre ordurière », écrite à Rome, et signée « le Cochon imaginaire ou le salop sans le savoir ». De retour à Paris, il continue d’adresser des missives à celle qu’il n’a aimée que de manière épistolaire. Pour les plaisirs de la chair, notre courtisane faite Présidente lui préfère Baudelaire, moins porcin dans les formules poétiques qu’il lui adresse. L’édition originale des fameuses Lettres à la présidente a été publiée clandestinement en 1890, soit dix-huit ans après le décès de Gautier.

A la feuille de rose maison turque de Guy de Maupassant

Disponible aux éd. Flammarion/L’Enfer, 2000.

La vie amoureuse de Guy de Maupassant est connue. Ses écrits érotiques le sont moins. Son texte le plus sulfureux reste À la feuille de rose, maison turque. Cette courte pièce de théâtre met en scène Monsieur Beauflanquet, maire de Conville, et son épouse, un couple de bourgeois de province qui loge "A la Feuille de rose Maison turque, salons et cabinets meublés". Il s’agit en réalité d’une maison close qu’ils prennent pour un hôtel où résiderait l’Ambassadeur de Turquie et son harem. L’idée est due à Flaubert et a été reprise par Maupassant en 1875. Il en parle lui-même comme d’une « pièce absolument lubrique ». Cette comédie érotique a été jouée deux fois : Octave Mirbeau a tenu le rôle de Monsieur Beauflanquet. Zola y assiste avec Edmond de Goncourt, qui qualifie la pièce de « salauderie » dans son célèbre Journal. Flaubert y rit à gorge déployée et répète pour commentaire : « c’est très frais ». Lors de la seconde représentation, en 1877, Maupassant joue sa propre pièce dans le rôle travesti de Raphaële. Des dames du monde y assistent, masquées, bien entendu. La pièce a été imprimée pour la première fois en 1945, clandestinement, La « feuille de rose » est d’ailleurs le nom de la yole de Maupassant, qu’il garde à Bezons. Ironie du sort, Maupassant, syphilitique, est hospitalisé l’année de sa mort, en 1893, dans l’établissement de Passy du Docteur Blanche, où siège aujourd’hui l’ambassade de Turquie.

Vers libres de Raymond Radiguet

Disponible dans Œuvre poétique, éd. La Table Ronde/La Petite Vermillon, 2001.

La vie de Raymond Radiguet est connue pour sa fulgurance, pour le scandale provoqué par ses fréquentations comme par le battage orchestré par son éditeur, Bernard Grasset. Peu après sa mort à vingt ans, en 1923, le filon perdure. Dès 1926, des Vers libres signés du disparu paraissent à « Champigny, au panier fleuri », autrement dit sous le manteau. Dans la foulée, une nouvelle version officieuse surgit, cette fois à « Nogent » et toujours « au panier fleuri ». Elle comporte de magnifiques illustrations non signées, longtemps attribuées à Rojan, dessinateur qui deviendra célèbre avec ses albums du… Père Castor. Ce n’est qu’en 1963 que la famille Radiguet finit par admettre la paternité des fameux Vers libres.

Le Con d’Irène de Louis Aragon

Disponible au Mercure de France, 2000.

Les surréalistes, tancés par le pudibond André Breton, ont entretenu des relations compliquées avec la sexualité. Louis Aragon publie Le Con d’Irène en 1928. Le récit, se muant peu à peu en poème d’hommage à une Irène disparue, paraît avant la rupture avec le groupe d’avant-garde et l’adhésion totale au communisme. Il est pour l’heure passé d’une liaison à une autre : il a été quitté par la « dame des Buttes-Chaumont » et va bientôt s’éprendre de Nancy Cunard, la petite-fille milliardaire du fondateur de la Cunard Line. En réalité, ce livre n’est qu’un zeste de La Défense de l’infini, manuscrit qui comporte plus de 1500 pages, écrites durant quatre ans. C’est devant Nancy qu’Aragon brûle la majeure partie de son texte. Le volume largement amputé paraît sous le pseudonyme de Louis Routisie, qui est également le patronyme du héros. Aragon, fils d’un préfet de police, persévère dans la littérature érotique, en écrivant, en 1930, Le Mauvais Plaisant, qui ne sortit qu’en… 1986 sous le titre des Aventures de Jean-Foutre La Bite.

Querelle de Brest de Jean Genet

Disponible aux éd. Gallimard/L’Imaginaire, 1981.

Genet vend au mécène et industriel Jacques Guérin, en 1947, le manuscrit de Querelle de Brest. L’écrivain dédie le volume à son protecteur. Le roman sort la même année, sous le manteau, avec des illustrations de Cocteau, à qui il était originellement dédié. Genet met en scène avec Querelle, ordonnance de vaisseau cultivant les amours du même sexe, son plus troublant personnage d’assassin et de voleur.