Faire la mère et l’amour

Le 19/02/2010

Les enfants seraient donc les ennemis de notre sexualité, saboteurs de jouissance, empêcheurs d’ébats dès leur conception. Oui peut-être, mais l’abandon de cette terre de plaisirs est une défaite. La mère ne doit pas effacer la femme qui, nous le verrons, est parfois accompagnée de l’homme dans cette négation du sexe.

Mère ou maîtresse : on ne choisit pas !

« Avant la naissance de Pia, confie Anne-Laure, 31 ans, on faisait l’amour n’importe où, et surtout à tout moment… Le sexe était l’un des fondements essentiels de notre relation. Au fil des mois, le petit côté torride a cédé la place à quelque chose de plus doux et presque fraternel », regrette-t-elle. L’idée reçue selon laquelle le couple s’autodétruit à la naissance de l’enfant court toujours, comme si le dilemme « maman ou putain » avait décidément la dent dure. Troublante Messaline ou Nounou "maternante" : faudrait-il toujours choisir ? A la naissance du premier enfant, la sexualité se désagrège comme si le mot « couffin » entraînait in petto la chaîne des signifiants : « peignoir-bigoudis-débandage-abstinence »… Est-ce un trait d’époque ? Est-ce parce que les enfants ont pris une telle importance que, dès leur arrivée, les couples s’inclinent devant le petit roi et musèlent leurs fantasmes ? Non. A en croire la psychanalyste sexologue Ghislaine Paris (1) notre société judéo-chrétienne, est encombrée depuis longtemps par ce qu’elle nomme « les résidus du passé », entre autres par l’image de la Vierge Marie…devenue mère sans passer par la case « sexe ». « Dans la religion chrétienne, la sexualité n’était encouragée que si elle était destinée à la procréation, le désir n’étant, lui, toléré que pour les hommes ». Ainsi pendant des lustres, les femmes ont soigneusement séparé sexualité et procréation, subissant sans mot dire le désir du masculin. Et occultant le leur, sauf au moment d’enfanter…

Ça débute souvent pendant la grossesse...

Au Moyen-âge et pendant des siècles, le boycott débutait dès la grossesse : la femme était considérée comme impure et les relations sexuelles frappées d’interdit. Il a fallu attendre Ambroise Paré, père des médecins et des accoucheurs, pour parvenir à un peu de rationalité. En 2010, pourtant, les tabous persistent. Et les réticences subsistent. Certaines femmes trouvent incongru de faire l’amour « en gros ventre », tandis que des futurs pères s’abstiennent, craignant de faire mal au bébé. Les réticences masculines peuvent débuter dès le cinquième mois, au moment où la femme s’arrondit. L’homme doit s’habituer à ces rondeurs, aux seins qui pointent, aux formes de la future mère. Pas si facile, « en particulier pour ceux qui ont eu des relations compliquées avec leur propre mère », note la psychologue Maryse Vaillant (2). Compliquées ne signifie pas forcément conflictuelles. « Quand une mère s’est montrée trop accessible, et qu’elle n’a pas énoncé clairement l’interdit de l’inceste, la sexualité sera nettement plus hasardeuse. Car alors on a l’impression de faire l’amour avec sa propre mère ». C’est ainsi que le Dr. Gérard Strouk, gynéco-obstétricien, décode également certaines « tiédeurs » masculines : « Au cours des groupes de paroles que j’avais organisés à la maternité des Lilas, si certains hommes prononçaient le terme de « repoussante », c’était pour exprimer inconsciemment quelque chose qui relève de l’interdit, de l’inceste : on ne fait pas l’amour avec une femme intouchable et sacrée- sa propre mère ». On imagine bien à quel point cela ne s’arrange pas forcément après la naissance !

Les trois premiers mois sont placés en effet sous le signe du « black out ». Le corps a été malmené et la mère se retrouve en pleine dyade avec son bébé. « C’est normal de ne pas faire l’amour pendant cette période, contrairement aux conseils délivrés par certains magazines », note avec humeur le Dr. Ghislaine Paris. Le père ne peut qu’attendre que cette « folie maternelle », pour reprendre une formule du pédiatre Donald Winnicot, prenne fin. Mais après trois mois, rien ne s’oppose plus à l’activité sexuelle, même si la chute hormonale d’après l’accouchement entraîne un amoindrissement de la lubrification vaginale…Donc une pulsion sexuelle en berne. Ajoutons-y l’épuisement des nuits sans sommeil et on comprendra le manque de désir. « Les femmes souffrent aussi d’une image de soi dégradée, et certaines attendent d’avoir perdu du poids pour reprendre une activité sexuelle, note le sexologue Marc Ganem. A tort. D’abord il peut s’écouler un certain temps avant qu’elles ne récupèrent leur ligne. Ensuite, parce qu’elles doivent comprendre que leur compagnon ne voit pas leur gros ventre, ils les aiment dans leur globalité. »

Le bébé comme substitut libidinal

La sexualité doit se heurter bientôt à un autre risque : celui que Ghislaine Paris nomme joliment le « risque du familier ». « Tout petit, n’a-t-on pas appris que la famille est un lieu d’où la sexualité est bannie ? Les petits garçons savent très vite qu’il est interdit de bander en présence de ses parents…N’est-ce pas le tabou principal qui nous pousse, à l’adolescence, à sortir de la maison et de la famille pour chercher ailleurs un conjoint ? ». Tout cela revient nous titiller à la naissance de l’enfant. « Les femmes qui sont « trop mères », car elles investissent trop leur bébé et ne laissent plus aucune place à d’autres types de relation, déclenchent une sorte de réaction défensive de la part des hommes. » déclare la sexologue. Certaines toutes jeunes mamans, sur-investies dans leur maternité, ne leur facilitent pas la tâche : « Pour certaines femmes, l’enfant devient un parfait « substitut libidinal », constate pour sa part la psychologue Maryse Vaillant. « Autrement dit, elles n’investissent leur libido que dans leur relation avec leur enfant, jusqu’à en faire un compagnon de vie. Nous sommes là dans une attitude presque « incestuelle » (inceste virtuel). Et la présence du bébé dans le lit des parents, symboliquement, n’arrange pas les choses ! ». Au fond, les reliquats du passé sont encore là : on ne peut être une « bonne mère » que si l’on se prive de sexualité…De quoi refroidir les ardeurs masculines face à cette femme qui n’est devenue que maman…
Mais l’inverse est également vrai. « En devenant pères, souligne le psychiatre Bernard Geberowicz (3) certains hommes redécouvrent et dévoilent la « part féminine » en eux, ce qui peut déstabiliser leur compagne. Comment désirer un homme qui fait risette, change la couche, et est devenu un parfait papa poule ? On en parle peu, mais certaines femmes y voient une « dé-virilisation » de leur conjoint.
Dans un cas comme dans l’autre, l’enfant devient en quelque sorte un « substitut de la sexualité » du couple… Ce qui se fait parfois au détriment de sa propre libido.

Les femmes en pleine puissance

Alors, pourquoi donc s’interdire des nuits torrides, si tout cela en outre fait de nous des bonnes mères et des bons parents ? A entendre tous les spécialistes, l’expérience de la maternité, proche du « lâcher-prise », peut, au contraire, nous éveiller à une toute nouvelle sexualité. A commencer par la grossesse, période d’inondation hormonale, au cours de laquelle le corps est « sous tension », les fantasmes sont à leur comble. Après la tiédeur du premier trimestre qui entre nausées et moral en berne, voit une sévère chute de libido-pour 80% des femmes (4) le second trimestre inaugure une formidable expérience sensuelle. Côté sexualité, c’est la lune de miel ! Les nausées s’achèvent, les seins ne sont plus aussi tendus et douloureux qu’au premier trimestre... Et deviennent de ce fait une puissante zone érogène. Quant à la lubrification vaginale- provoquée par l’élévation du taux des œstrogènes- elle est plus intense que jamais.
Les chiffres parlent d’eux mêmes : une femme sur 5 (5) a son premier orgasme pendant la grossesse. « Je me suis sentie pour ma part « hyper femelle », se souvient Ovidie, productrice de films X. « Mon corps et mes sens ont sur-réagi, en particulier l’odorat, dont on connaît l’importance dans la sexualité ». Certaines voient avec surprise et un brin de culpabilité leur désir s’exacerber. Peut-être parce qu’il ne correspond pas vraiment à l’idée que l’on se fait d’une future maman ? Comme Garance, 31 ans : « Je ne sais pas ce que j’avais. Mes seins étaient totalement à vif, je ne pouvais pas me satisfaire uniquement de mon mari. Comme je travaillais à la maison, il m’arrivait de me caresser plusieurs fois par jour et d’atteindre l’orgasme très rapidement. Je ne l’avais jamais fait auparavant. Ça a été pour moi une grande découverte. »
Ainsi des femmes découvrent pendant cette période bénie l’attrait de la masturbation…Voire des sex toys. Aucune culpabilité à avoir : certains sexologues pensent que le bébé bénéficierait d’une sorte d’ « effet jacuzzi » pendant l’orgasme. Il en tire des bénéfices lui aussi !

Une expérience jouissive

« Pour mon premier fils qui se présentait en siège, raconte Claire, j’ai accouché pourtant normalement. J’ai dû pousser très très fort, sur les conseils des médecins. J’ai eu l’impression que je me dépassais, que j’allais au-delà de mon corps. Que, pour la première fois, je dépassais le seuil de l’inhibition. Cela m’a ensuite, bizarrement décoincée sur le plan sexuel ». Dépasser les inhibitions, certaines femmes qui souffrent de vaginisme et ont dû avoir recours à une insémination pour être enceintes, prennent soudain conscience de l’ouverture formidable de leur sexe pendant l’accouchement, de la plasticité physiologique… Une chose est sûre : on est passée soudain du côté des « femmes de pouvoir ». Et c’est ainsi qu’il faut concevoir la maternité. « Les femmes ne sont plus des petites filles qui cherchent à séduire leur père. A l’heure où l’on tarde à devenir adulte, la maternité reste l’un des derniers rites de passages qui vous font basculer du côté des « femmes », des vraies », note Ghislaine Paris. « Et ce sentiment de puissance est bénéfique pour la sexualité ! Sans compter le fait que l’enfant est le « produit » de cette sexualité. Le couple se réunit autour de lui ».

Rapprochement désérotisant

Rapprochement, proximité ? Certes. Encore faut-il ne pas se laisser prendre au piège. A force d’échanger autour des couches, du dernier rot, ou du premier babil, l’enfant nous a en effet rapprochés mais…éloignés sur le plan érotique. A tel point que nombre de femmes le reconnaissent : elles ont quasiment le sentiment de commettre un « inceste » en faisant l’amour avec le père de leurs enfants , « On est tellement proches après dix ans de vie commune, que je n’y arrive plus », confesse Chloé. « Paul est devenu mon grand-frère »…
C’est un cercle vicieux : car le fait de ne pas faire l’amour rend une relation très plate et très fraternelle. Au contraire, faire l’amour restaure un mystère, un enchantement, une « épaisseur » chez l’autre…
Au fil du temps, le duo torride a laissé place, très insidieusement, à un autre tandem. Frère- sœur, quand il ne s’agit pas du couple : petit garçon/ maman sévère, comme le dénonce Ghislaine Paris, « une maman toujours prête à réprimander son insupportable petit garçon », s’il passe trop de temps sur Internet ou devant un match de rugby, distribuant ses câlins parcimonieusement, boycottant la couette quand son mari n’a pas été sage. « Comment une femme aurait-elle envie de faire l’amour avec un petit garçon ? » s’interroge Ghislaine Paris.

Les caresses invisibles

Coincé entre les enfants et la carrière, le couple n’arrive plus à respirer. « On y investit toute son énergie libidinale regrette Ghislaine Paris, et surtout, on n’anticipe pas suffisamment la sexualité. Pour avoir envie de faire l’amour, il faut y penser dans la journée, « cajoler l’idée de faire l’amour », envoyer un texto coquin à l’autre, se mettre en scène dans les fantasmes… ». Tout cela permet de passer en permanence du statut de parent à celui d’amant !
« Quand on devient parent, on relègue la sexualité au rang de simple loisir (« on fera l’amour quand on aura le temps, les enfants d’abord »). C’est un tort, car elle est essentielle à la survie du couple » poursuit la sexologue.
Les recettes dispensées par les magazines féminins- avoir une sexualité différente, partir à l’autre bout du monde- sont souvent hors de la réalité. Et s’il faut attendre de partir à l’île Maurice pour faire l’amour, cela signifie qu’on ne peut s’aimer qu’une semaine par an ! Ce serait dommage…
En revanche, parce que l’érotisme et la séduction ne prennent pas de vacances, il faudrait les inscrire au menu du quotidien, en évitant de passer directement de la case « je couche les enfants » à celle « j’ai envie de faire l’amour ». Les femmes, c’est bien connu, reprochent souvent cette attitude à leur compagnon. D’après Ghislaine Paris, elles manquent de ces petits signes qui érotisent le quotidien et nous décollent de notre identité pesante de papa-maman : caresses, œillades, langage sexuel, mots crus : « Beaucoup de couples disent « faire des câlins » au lieu de « faire l’amour », dénonce Ghislaine Paris. « Ce mot, emprunté au vocabulaire enfantin, est régressif et en dit long sur l’état de la sexualité. Or, ça n’est pas parce que l’on a des enfants, que l’on doit s’interdire l’accès à l’érotisme cru ».

A chaque couple d’alimenter ses propres désirs- certains s’organiseront pour s’offrir les délices d’un dimanche à l’hôtel, ou redécouvrir le plaisir de faire l’amour n’importe où dans la maison- le principal étant de poser une limite à nos propres enfants…pour qu’ils ne fassent pas de nous des parents « sans sexe ».



[gris]Sophie Thomas[/gris]


(1) Ghislaine Paris est sexologue à Paris et auteur de Faire l’amour pour éviter la guerre, la sexualité dans la vie du couple , à paraître aux éditions Albin Michel le 4 mars 2010.
(2) Maryse Vaillant psychologue clinicienne, est l’auteure de Comment aiment les femmes (Points Seuil) et Les hommes, l’amour, la fidélité (Albin Michel).
(3) Auteur du Baby-clash , éditions Albin Michel.
(4) D’après les études citées par Masters et Johnson ( Amour et sexualité, ed. Dunod).
(5) Ibid.

© Diego Cervo - Fotolia

Commentaires (7)

  • Anonyme

    "Une chose est sûre : on est passée soudain du côté des « femmes de pouvoir ». Et c’est ainsi qu’il faut concevoir la maternité. « Les femmes ne sont plus des petites filles qui cherchent à séduire leur père. A l’heure où l’on tarde à devenir adulte, la maternité reste l’un des derniers rites de passages qui vous font basculer du côté des « femmes », des vraies », note Ghislaine Paris" au secours Elisabeth Badinter, elles sont devenues folles !! et l’homme il devient homme quand il est devenu père ? et avant ce n’était qu’un petit garçon qui voulait séduire sa maman ?! avant c’était un faux homme qui vivait avec une fausse femme ??

  • fleur mauve

    J’ai 4 enfants de 25 à 18 et je n’ai jamais y compris pendant la grossesse et l’allaitement renoncé à être l’amante de mon mari.
    Aujourd’hui, nous devons parfois ruser avec 3 jeunes adultes à la maison mais c’est souvent plus excitant que casse-pieds
    Formidable votre site et les propositions de service qui me font rêver mais sont au-dessus de mes moyens

  • Nina

    Mille mercis pour ce texte très simple et si puissant !
    Je n’ai pas encore d’enfants mais de le lire m’a fait un bien fou ; il a donné des réponses à mes questionnements et atténué des peurs enfouies en moi. Merci encore

  • le psy du coin

    Winnicott parle plutôt de "pathologie normale" a propose de cet état d’hypersensibilité qui vient après l’accouchement quand tout ce passe bien... dans son propos la "folie maternelle" est quelque chose de positif ! c’est à souligné,sinon ça pourrait être mal pris.

    cette article done un bol d’air c’est sur !

  • Clem’

    Suite à cette lecture, je me dit que j’ai du bénéficier d’un fort effet jacousy !

    effectivement, certaines représentations pèsent. J’ai même entendu des psychanalystes dire qu’une dame était plus femme que mère... et ça les inquiétaient.

    C’est pourtant tellement évident que les mères sont des femmes. (encore qu’un article de ce même site contredit cette affirmation)

    Anonyme : certaines femmes ont vraiment la sensation de devenir des femmes des vraies qu’après un premier enfant, c’est une drôle d’idée mais qui s’explique bien... Alors que les hommes sont des hommes des vrais dès qu’ils réalisent un exploit exceptionnel (pisser à plus de 3m, réussir le plongeon de la mort, finir leur verre cul sec) par contre une fois devenu père... ils peuvent réaliser qu’être un homme n’aide en rien à être adulte.

  • MYxOwCaYgOYIdKYgoom

    YMMD with that aneswr ! TX

  • FredWe

    Bel article qui fait du bien, et belle conclusion.