Marre du sexe ? Ou de materner de votre mec ?
Le 05/11/2021
On décrit peu la femme hétéro en couple depuis longtemps comme une louve affamée de sexe, mais plutôt comme celle qui s’y colle rarement et avant tout pour faire plaisir. C’est un stéréotype, mais hélas il est aussi la réalité de nombreuses femmes hétérosexuelles. On parle peu, ou mal, des raisons qui feraient que ce désir de l’autre s’érode. D’où notre attrait immédiat pour cette étude de la Queen’s University, récemment parue au Canada, au titre inquiétant mais qui pointe brillamment toutes les raisons valables de cette usure de l’empressement : The Heteronormativity Theory of Low Sexual Desire in Women Partnered with Men (La théorie de l’hétéronormativité de la baisse du désir sexuel chez les femmes en couple avec des hommes).
"Une vision du monde hétéronormative suppose que les relations et les structures sont hétérosexuelles, que le genre (généralement confondu avec le sexe) est binaire et complémentaire, et que les rôles sexuels s’inscrivent dans des limites étroites, notamment le travail de nourrice pour les femmes".
Avant de chercher les causes de cette diminution du désir, les auteurs re-précisent les façons dont il est défini aujourd’hui : "Des approches plus contemporaines encadrent le désir sexuel de diverses manières. L’une d’elles est que le désir peut être une réponse au plaisir et à l’excitation, voire le même phénomène que l’excitation elle-même. Une autre est que le désir sexuel est multiforme et peut refléter non seulement le désir d’orgasme ou de plaisir corporel, mais aussi le désir de proximité, de puissance, de relaxation, etc. Avec le désir à multiples facettes, le désir peut être partenarial ou solitaire, varier en degré et en nature, et sa présence ou son absence n’est ni naturelle ni contre nature, mais reflète une foule de facteurs situationnels et psychologiques."
En partant de l’exemple d’une femme, mère de deux jumeaux, seule à assumer les tâches ménagères et parentales, dont le mari avait d’abord pensé à la "punir" car elle "refusait de faire l’amour" avant de lui suggérer de prendre un "Viagra féminin", l’étude déroule la façon dont ont considère la baisse du désir de la femme, généralement vue comme un problème hormonal ou biologique : "L’idée que la baisse du désir est le fait de l’individu reflète une vision essentialiste de la sexualité, avancée par le milieu médical depuis des décennies et critiquée de manière convaincante".
L’autre recours est souvent de traiter le problème sous un aspect psychologique. Mais les auteurs posent une question pertinente : quelles sont les raisons d’un processus psychologiques ou de dynamiques interpersonnelles qui contribuent à la baisse du désir chez les femmes en premier lieu ? Et pourquoi cela concerne-t-il autant de femmes ? Les chercheurs pensent qu’une explication viable du faible désir chez les femmes en couple avec des hommes est d’ordre structurel. Ils proposent une nouvelle théorie : les rôles et les normes de genre hétéronormatifs sont la cause du faible désir chez les femmes en couple avec des hommes.
Quatre raisons à cela.
Trois des quatre raisons avancées ne sont pas inconnues, mais traitées sous un angle novateur. L’inéquitable répartition des des tâches ménagères est un problème, ainsi que l’objectification des femmes et les normes de genre entourant l’initiation sexuelle en sont un autre. Mais disant cela, l’étude souligne que ces facteurs qui réduisent le désir ont à voir avec le travail, mais pas avec la biologie du corps de la femme. Or le plus souvent, on essaie de traiter la baisse du désir féminin par des traitements chimiques, généralement hormonaux.
C’est le quatrième point avancé par l’étude qui a retenu toute notre attention : le flou entre le rôle de partenaire et celui de « mère » du conjoint. Les femmes ont une libido réduite si elles ont le sentiment d’agir comme la mère de leur partenaire. Le fait que l’hétéronormativité place les femmes dans ce rôle inéquitable d’aidantes et de mères pour les partenaires masculins contribue à la baisse de leur désir. « La nurturance - un traitement chaleureux, aimant et attentionné - est un aspect essentiel des relations à long terme et/ou réussies, mais elle est partagée de manière inéquitable entre les femmes et les hommes dans leurs relations mutuelles ». Materner un homme et le trouver excitant relève d’une gageure impossible.
L’étude rappelle au passage que quelle que soit la façon dont ce sujet est abordé, on incrimine toujours la femme, lui ajoutant encore une responsabilité, mais elle est absurde, puisqu’elles ne sont pas le problème.
Enfin, on encourage les femmes à avoir une approche hygiéniste de leur sexe en ayant, entre autre, des poils pubiens ordonnés, de « bonnes odeurs » vaginales, une apparence irréprochable, et autres diktats qui peuvent devenir une « lourde charge cognitive dont il faut se préoccuper avant et pendant les rapports sexuels ; or, on sait que les distractions cognitives compliquent l’excitation sexuelle ».
Il nous semble que cette étude pourrait servir de base à des discussions entre couples hétéros fatigués ... Car c’est bien le jour où les femmes pourront cesser de se préoccuper de leur apparence physique et se détourner de toutes les tâches ménagères qui sera celui où leur libido retrouvera toute sa splendeur. On pense avec envie à Lilith, première femme de l’humanité avant Eve ...
© photo : Helmut Newton.