Grands orgasmes, seuls au monde
Le 19/04/2024
Dans une logique édifiante, non seulement une large partie de la population mondiale a significativement réduit le nombre de ses relations sexuelles, mais ceux qui ont la possibilité d’avoir un rapport avec un être de chair, de sang, de souffle et de chaleur humaine sont nombreux à dire qu’ils leur arrivent de préférer leur sextoy à leur partenaire.
C’est ce que révèle cette semaine le sondage LELO-IFOP* : 46% des hommes déclarent avoir évité des rapports sexuels pour jouer avec leurs instruments masturbatoires, et les femmes sont 28% dans le même cas.
Incontestablement, les sextoys sont capables de faire beaucoup plus et beaucoup mieux que beaucoup d’êtres humains : les machines ne connaissent aucune fatigue ou lassitude et les capacités vibratoires et ondulantes des moteurs dépassent ce que doigts et langues pourraient faire.
Mais, nous sommes aussi devenus des êtres narcissiques.
L’historien et sociologue américain Christopher Lash avait identifié la tendance dès la fin des années 70, considérant le narcissisme comme un état de grandeur et de vide intérieur, dans lequel la personne voit le monde comme son miroir. A l’époque, il pointait l’engagement des populations dans des relations superficielles comme l’une des conséquences. Aurait-il pu prédire que près de cinquante ans plus tard, hommes et femmes préfèrent faire l’amour avec une machine plutôt qu’avec un humain ? S’il s’était penché sur cette aspect de la question, oui, sans doute car les chiffres montrent une baisse drastique d’interactions, y compris avec les amis : dans les années 70, les Américains recevaient leurs amis chez eux une quinzaine de fois par an, le chiffre tombait à 8 fois par an dans les années 90. Aujourd’hui, ils déclarent avoir moins de trois amis selon la DDB Needham Life Style Archive. Ce qui ne facilite pas non plus la rencontre amoureuse et/ou sexuelle...
Je m’autorise à un grand écart : une étude autrichienne, faite par Eva Zangerle, de l’Université d’Innsbruck, a récemment montré que les paroles d’environ 12.000 chansons en anglais, entre 1980 et 2020, ont tendance à devenir de plus en plus répétitives, négatives, clamant un mécontentement grandissant et une accentuation de l’autoréférence : "moi", "je", "mon" sont des mots qui triomphent. Est-ce à croire que paradoxalement, nous ne sommes pas si satisfaits de notre capacité à n’aimer que notre nombril et nos sextoys ?.
La masturbation a de formidables effets bénéfiques sur le stress et le sommeil grâce à la libération d’endorphines, mais cela ne nous suffit pas. Depuis quelques temps, la science s’intéresse aux explications physiologiques et en particulier à la base biologique des relations interpersonnelles, afin d’essayer de comprendre pourquoi et comment les perturbations des liens sociaux ont des conséquences si importantes sur la physiologie et quelle est l’évolution de l’amour. La vie sur Terre est avant tout sociale pour favoriser l’homéostasie, la croissance et la reproduction. Sur ce terrain, l’ocytocyne est une hormone bien particulière qui joue un rôle crucial, dans l’orgasme comme dans l’attachement, et c’est une composante importante d’un système neurochimique complexe qui permet à l’organisme de s’adapter à des situations hautement émotionnelles. Selon Lucy Vincent, docteur en neurosciences, " Un coït abouti entraîne une libération d’ocytocine dans le cerveau, et c’est cette hormone qui lie le couple et rend la présence de l’autre si acceptable ".
On ne changera pas la tendance à se replier sur soi qui s’est accélérée au tournant du siècle, mais si pour le moment les productions de synthèse de cette hormone ne sont pas probantes, il va falloir que les industriels comme Lelo trouvent le moyen d’en faire un système de récompense de l’orgasme à travers le sextoy, avant que tout se termine en guerres fratricides ...
*Source : Enquête Ifop pour LELO : Les Français font-ils moins l’amour ? L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 1 911 personnes, représentatif de la population résidante en France métropolitaine âgée de 18 ans et plus, du 29 décembre 2023 au 2 janvier 2024.
© Photo : Robert Mapplethorpe