Brève histoire de la techno-sexualité
Le 17/07/2017
La volonté des hommes de séparer la reproduction de la sexualité est très ancienne. Les premiers préservatifs datent de 3.000 ans avant J-C et sont nés de la volonté des soldats égyptiens de se protéger des maladies vénériennes. Le XXe a connu un tournant majeur avec l’invention de la pilule contraceptive, d’un usage plus sûr, qui a libéré les femmes. C’était aussi le début du bio-hacking : on est passé d’une technologie externe (la capote), à une technologie interne, jouant avec les niveaux d’hormones pour temporairement bloquer la fertilité féminine.
En 1886, Villiers de L’isle Adam publie « l’Ève future », roman fondateur de la science-fiction, où l’ingénieur Edison fabrique de toutes pièces une « androïde » (le mot apparait pour la première fois dans son livre) qui ressemble physiquement à un modèle humain et a l’avantage d’être parfaite aux yeux du héros.
Le désir d’optimiser l’objet de son désir via la création d’un partenaire parfait ou d’optimiser des outils qui permettent de magnifier la jouissance est inscrit dans la nature humaine et remonte à la préhistoire. Avant Villiers de l’Isle Adam, Ovide avait écrit dans ses « Métamorphoses » l’histoire de Pygmalion, tombé amoureux de sa sculpture, représentant une femme idéale. Les premiers godemichés datent de l’ère paléolitique. Dans la comédie d’Aristophane, « Lysistrata », les femmes en vantent les avantages. Cléopâtre aurait eu la première l’idée d’un vibromasseur primitif en utilisant une gourde remplie d’abeilles. Les marins ont inventés très tôt des « dames de voyages », des poupées en tissus servant à forniquer. Au XIXe c’est l’électricité qui a permis l’avancée du marché féminin de vibromasseurs (pour lutter contre « l’hystérie »).
Une légende veut que Hitler ait commandé des poupées sexuelles pour ses soldats, afin de leur éviter la tentation de coucher avec des femmes non-aryennes. Que l’histoire soit vraie ou non, c’est bien en Allemagne qu’est apparue la première poupée adulte, Lili, commercialisée dans les années 1950, à partir d’un personnage de bande dessinée. Ce marché s’est surtout développé lorsque les Américains ont été autorisés à en faire de la publicité dans les premiers magazines porno, en1968. Les poupées en silicone, proches de la réalité, sont apparues dans les années 90, lorsque l’artiste Matt McMullen a commencé à s’approprier le sujet. Aujourd’hui, elles bénéficient d’une intelligence artificielle qui leur permet de dialoguer avec leurs propriétaires. Le site chinois Alibaba vend des poupées masculines et féminines à partir de 1500$. Bientôt, elles auront des corps animés et seront de véritables geishas/geishos à la portée de tous.
Depuis le début des années 2000, les recherches en neurosciences ont prouvé que les êtres humains ont besoin de stimuler leurs zones érogènes et d’avoir des orgasmes pour bien nourrir leur système neuronal de récompenses. Car si, au cours des âges, le rôle des hormones et des phéromones a diminué, l’importance des récompenses est, elle, devenue majeure. Cette quête participe au développement d’un marché du sexe qui ne se limite plus aux objets de masturbation pour hommes et femmes. Depuis le début du XXIe siècle, la conception classique de l’amour entre deux personnes est ébranlée par la technologie de deux façons : d’un côté la science transforme le corps par l’ajout de prothèses, c’est le transhumanisme. De l’autre, l’industrie du sexe, toujours en avance sur les progrès technologiques, investit de plus en plus dans la R&D pour élargir sans cesse l’éventail des possibilités humaines. Si le piratage et la concurrence mettent à mal les revenus de cette industrie, ils sont aussi de formidables moteurs poussant à inventer sans cesse, à constamment élargir le champ de l’innovation.
Toutes les formes de rapports sexuels physiques ou virtuels s’envisagent, pour améliorer l’expérience aux autres comme pour perfectionner une forme d’amour de soi, de narcissisme, de masturbation mentale. Cette sexualité technologique permet aussi de mieux comprendre le monde qui se dessine, où l’on est à la fois plus indépendants les uns des autres (la famille et le couple - ciments des sociétés depuis l’invention de l’agriculture il y a 10.000 ans - se sont disloqués) et de plus en plus sensibles à ce qui est collectif et collaboratif, c’est à dire tournés les uns vers les autres.
Sophie Bramly