Quelles nouvelles du vagin ?

Le 18/02/2021

Nous ne sommes plus dans la nuance, nous sommes dans l’affrontement, les idées s’opposent. Mais au lit, c’est une autre tendance qui est pointée par les médias : le rapport sexuel sans pénétration, parce qu’il serait plus équitable.

Chercher l’équité dans la bataille de la jouissance est-elle possible ? Et comment l’envisager, alors que notre vocabulaire sexuel prête à confusion, avec l’idée qu’il y aurait d’un côté des "préliminaires", comme une simple mise en bouche, et de l’autre la chose vraie dans l’acte de pénétration ? Notre langue est restée immobile depuis 70 ans que pénétration ne rime plus avec procréation. Cette stagnation n’existe pas dans les corps. Nous bougeons, si je puis dire.
Un sondage de l’institut Ifop paru ces dernières années disait que " En cinquante ans, le nombre de nombre de femmes ayant déjà léché le sexe de leur partenaire a en effet fortement progressé (+36 points) au point d’atteindre des seuils très proches (91%) de ceux des hommes (89%), signe d’une certaine réciprocité dans l’échange de ce genre de caresses fréquemment associées aux phases de préliminaires. Si l’exploration du versant anal de sa sexualité tend plus à venir avec l’âge, il est intéressant de noter que la sodomie est désormais une pratique majoritaire : 53% des femmes s’y sont prêtées au moins une fois. (...) S’ils confirment le rapprochement des comportements sexuels entre les deux sexes, ces résultats montrent surtout un rapport plus hédoniste et plus autonome des femmes à la sexualité, s’affranchissant non seulement des préceptes moraux pesant traditionnellement sur la sexualité féminine mais aussi des scripts sexuels présentant le coït, l’homme et son membre comme les seules sources légitimes du plaisir féminin. (...) Les Françaises expriment en effet une plus grande capacité à se prendre en main et à s’affranchir des normes de genre tendant à imposer une vision purement « pénétrative » et passive du plaisir féminin."*
Les médias ont avancé qu’il y aurait de formidables avantages pour les deux sexes : les hommes sont affranchis des risques d’une éjaculation rapide, ou de sous-performance (mais par rapport à quoi ? Et les risques ne sont-ils pas les mêmes dans une bouche ou une main ? ). Les femmes prendraient plus de plaisir pour une variété de raisons : tout leur corps est érogène, le clitoris fait son grand come-back, la pénétration n’est pas toujours agréable, les hommes vont trop vite, on peut mettre tout un tas d’autres choses dans son vagin pour jouir, etc.
Je te suce, tu me lèches, tu titille la pointe de mes seins avec un doigt dans ma chatte, je joue avec ton anus, tu joue avec le mien et nous voilà dans un rapport quasi-égalitaire.

Et tout à coup, me revient en mémoire une conférence organisée par le sociologue Sam Bourcier à l’EHESS, il y a une dizaine d’années de cela, autour de la pornographie féminine et féministe, où certaines participantes avançaient l’idée intéressante que pour une sexualité paritaire, il fallait se tourner vers l’anus, où hommes et femmes sont égaux, symétriques. L’anus était l’avenir de l’Homme et de la Femme.
J’avais soulevé un sourcil avec curiosité et intérêt, sans tout à fait y croire, et sans doute en me trompant, car il se peut que nous soyons au bord de cet instant là.

Mais au fond qu’est-ce que faire l’amour ? Si je repars de la phrase lapidaire du psychanalyste Jacques Lacan : "Il n’y a pas de rapport sexuel", laquelle portait à croire que la relation amoureuse n’est pas un rapport mais "une lutte entre deux contraires", l’un contraint à mettre en scène une virilité qui n’existe pas et l’autre dans une incomplétude. Les deux s’unissent dans un réel qui ne peut être exprimé par le langage, de sorte que, d’une certaine façon, ils ne se rencontrent pas, autrement que dans la jouissance : "Il n’y a pas de rapport entre les sexes, mais il y a un rapport entre les jouissances et, ajoutons-nous, un rapport de jouissance tout court. La jouissance n’est autre que ce champ de rapports, ce champ d’inscriptions qui par ailleurs, il faut bien le reconnaître, n’est pas autre chose que le sujet lui-même, toujours sur la sellette entre castration et jouissance.".

Où situer l’anus ? Dans la minute où je pénètre ton anus, où suis-je et que fais-je ? Et inversement lorsque tu pénètres le mien ? Sommes-nous dans une égalité quelconque, en dépit de nos genres et nos sexes, dès lors que nous sommes dans cette lutte des jouissances, quel que soit l’orifice et l’objet pénétrant ? "Ce qui ne s’écrit pas comme tel, condensée par aucun signifiant, c’est assurément la jouissance elle-même — d’où l’amour qui compense et qui, malgré tout, ne cesse pas d’écrire… ce qui ne peut l’être" disait-il encore.

Rien n’est véritablement équitable, ni la quête, ni le rapport, ni la jouissance. Et qu’importe, du moment que nous avons l’ivresse ?

* François KRAUS, directeur du pôle Politique / Actualité à l’Ifop

Illustration © : Queer abstraction, Wolfgang Tilmans