Le futur de la sexualité féminine

Le 10/07/2017

Il n’est un secret pour personne que depuis bientôt un siècle, la sexualité féminine s’est transformée grâce à deux facteurs : la liberté économique (permettant le travail rémunéré) et la science (offrant la contraception). Les mutations dans le monde du travail, les découvertes scientifiques et les avancées technologiques continuent d’impacter l’acte de faire l’amour et fait évoluer le désir féminin. Si d’un côté les futurologues saluent ces évolutions et prévoient la naissance prochaine d’une nouvelle espèce d’hominidés qui entraînera une re-définition des genres, les anthropologues y voient plutôt les réminiscences d’un fonctionnement primitif …

Les différentes méthodes contraceptives qui ont le plus directement chamboulé la sexualité féminine, lui rendant sa forme primale, tiennent sans doute toutes à la volonté d’une seule femme, Margaret Sanger, une américaine qui avait vu sa mère mourir des suites d’une dix-huitième grossesse. Celle qui fut initialement infirmière a d’abord mis au point l’American Birth Control League (en 1921), qui deviendra plus tard le Planning Familial. Puis, elle qui clamait haut et fort que « le corps des femmes n’appartient qu’à elles seules », a monté des cliniques de proximité pour contrôler les naissances. Elle s’est ensuite rendue dans l’Allemagne nazie - alors qu’Hitler brûlait ses livres - pour sauver de la déportation le dr Grafenberg qui, outre sa découverte du point G, est surtout l’inventeur du stérilet. Toujours en ébullition, à partir de 1951 elle n’a cessé de pousser le biologiste Gregory Pincus à trouver une solution hormonale. Elle s’est aussi battue pour obtenir l’intégralité du financement nécessaire à ce qui deviendra plus tard la pilule contraceptive. En un sens, l’invention de cette pilule est aussi le début du « bio-hacking » : on est passé d’une technologie externe (la capote), à une technologie interne, jouant avec les niveaux d’hormones pour bloquer temporairement la fertilité féminine. C’est ce tournant radical, lié aux progrès technologiques et scientifiques, qui a transformé le rapport que nous avons à l’acte de faire l’amour.

L’incroyable accélération de la science et des technologies depuis le début du XXIe siècle amorce un changement encore plus profond - si je puis dire - des rapports sexuels, dans un horizon proche. Bientôt, la popularité des objets et services sexuels, physiques et virtuels, qui ne cessent de proliférer, de s’améliorer et de s’immiscer dans le quotidien des gens, modifiera plus encore le rapport. La robotique, les réalités virtuelles et augmentées, les innovations scientifiques élargissent la façon dont on peut s’exprimer et expérimenter la sexualité à travers les cinq sens. Les avancées majeures qui ont lieu dans les sciences biologiques et neurologiques ouvrent un champ infini de possibilités érotiques.
Insidieusement, elles modifient aussi notre rapport à l’autre.

Au moment où la question des genres et des transgenres anime la société et les médias (Peut-on encore contrôler le corps de la femme et son vêtement ? Doit-on ou non entretenir les stéréotypes de genres ? Les transgenres sont-ils le cheval de Troie des femmes ? Les hommes vont-ils faire des bébés tous seuls ? ) l’industrie du sexe développe une sexualité qui dépasse toutes ces questions et propose que l’autre soit réel ou fictionnel, unique ou multiple, masculin, féminin, ou neutre. Elle envisage un monde où chacun pourra s’épanouir pleinement, sans refus, sans obstacles, sans frustrations et en augmentant le pouvoir des sens.
Potentiellement, il n’y aura plus d’hommes avec des dysfonctionnements érectiles ou de femmes uniquement clitoridiennes, il n’y aura plus d’handicapés exclus du domaine amoureux, il n’y aura plus d’homosexuels refoulés et il n’y aura plus d’obstacles géographiques. Les innovations techniques, biologiques et neurologiques vont permettre à tous de s’affranchir de tabous et d’ouvrir de nouveaux champs érotiques aux possibilités infinies. Pour les futurologues, cet accouplement de l’homme a l’ordinateur sera peut-être l’aube de ce qu’ils nomment déjà l’Homo Optimus.
Cette sexualité technologique permettra aussi de mieux comprendre le monde qui se dessine, où l’on est à la fois plus indépendants les uns des autres et de plus en plus sensibles à ce qui est collectif et collaboratif, c’est à dire tournés les uns vers les autres, unis par ce que le Marquis de Sade jugeait comme essentiel au bonheur des humains : l’imagination.

Depuis le début des années 2000, les recherches en neurosciences ont prouvé que les êtres humains ont besoin de stimuler leurs zones érogènes et d’avoir des orgasmes pour nourrir amplement leur système neuronal de récompenses. Car si, au cours des âges, le rôle des hormones et des phéromones a diminué, l’importance des récompenses est, elle, devenue majeure. Cette quête participe au développement d’un marché du sexe qui se limite plus aux objets sexuels. Alors que certains considèrent le futur comme anxiogène, qu’on accorde toutes sortes de super-pouvoirs aux robots dont il faudrait se méfier et que les sexualités augmentées et virtuelles indignent ceux qui veulent croire que l’amour physique est une extension biologique de l’amour psychique, la réalité est tout autre : nous ne cessons d’intégrer tout ce qui peut diversifier, augmenter, magnifier la relation sexuelle. Qu’il s’agisse de godemichés, de pilule, de Viagra, de films pornographiques ou de romans érotiques, depuis l’aube de l’humanité nous ne faisons qu’incrémenter des propositions au fur et à mesure des avancées industrielles.
Dans cette invisible progression du plaisir, cette quête d’idéal, se profilent aussi des modifications en profondeur sur la société et le rôle qu’occupe les femmes. L’impact de ce bonheur inédit effacera probablement la majorité des différentes formes de frustrations sexuelles (et les effets de la violence dévastatrice qu’elles engendrent) pour faire glisser l’humanité dans une nouvelle ère où, paradoxalement, l’un et l’autre sexe cesseront de s’opposer, en s’inscrivant dans un continuum des genres. Les catégories masculin et féminin, hétérosexuel, homosexuel, bisexuel vont-elles perdre en grande partie leur signification ? C’est en tout cas l’avis de la transgenre Martine Rothblatt « le paradigme de la continuité sexuelle prévoit qu’au cours de ce millénaire, la société évoluera dans le sens d’un état unisexuel (sexualité unique) ». L’apparition du robot dans les rapports sexuels poussera-t-elle encore plus loin l’effet de « Cheval de Troie » opéré par les transgenres, au bénéfice des femmes ? Les personnes seront-elles amoureuses sur la base de ressentis émotionnels et non selon des types d’organes génitaux ?
Pour les les anthropologues, comme l’américaine Helen Fisher, on est peut-être tout simplement en train de revenir à des modèles de société primitive, antérieurs à l’invention de l’agriculture où pendant des millions d’années, les sociétés de chasseurs-cueilleurs hommes et femmes se partageaient le travail et les femmes rapportaient le petit gibier, les fruits, les légumes et les graines qui constituaient 60 à 80% des repas. D’une certaine façon, les doubles revenus étaient la normes et « les femmes étaient regardées comme économiquement, socialement et sexuellement aussi puissantes que les hommes ». Pour elle, comme pour l’anthropologue française Françoise Héritier et le biologiste américain Jared Diamond, c’est l’invention de l’agriculture qui a changé le statut social des femmes. L’important travail de la terre auquel se livraient les hommes a eu pour conséquence l’invention de la propriété (tous les efforts ne pouvaient être vains) et avec elle la notion de leg. Mais s’assurer la paternité des héritiers il fallait aussi annexer le corps de la femme. Pour Helen Fisher, nous nous éloignons à présent de ce modèle qui a prévalu depuis 10.000 ans pour se diriger vers une relation égalitaire entre les sexes, qui justement n’est pas sans rappeler celle qui est antérieure à l’agriculture et où hommes et femmes avaient plusieurs partenaires sexuels au long d’une vie. On se rapproche aussi des civilisations anciennes où la bisexualité était plus fréquente. Il se pourrait que l’apartheid des sexes s’effondre, laissant évoluer une diversité sexuelle, où demeureront les questions de compatibilité sexuelle et d’engagement.
Selon la psychothérapeute Esther Perel, nous quittons également le modèle basé sur le devoir, l’obligation, la loyauté. L’Occident se dirige vers une société de liberté, de choix individuels, d’épanouissement, ce qui inclus la liberté et l’épanouissement des femmes. Le besoin d’amour reste inchangé, « mais le contexte et la façon dont nous régulons ces relations changent considérablement. Les gens veulent avoir des compagnons, un support économique, des enfants. Nous sommes passés d’une économie de production à une économie de services. »

Si les prévisions des futurologues se révèlent exactes, les notions de genres vont s’estomper et il est raisonnable de penser que les bénéfices seront autant au service des hommes que des femmes, qui - libérés des stéréotypes de genre - jouiront d’une réelle parité dans la sphère publique comme dans la sphère privée. Les chevaux de Troie que sont les trans-genres et bientôt les robots sexuels auront fait leur ouvrage. Quelle que soit l’issue, ils se peut que les anthropologues aient le mot de la fin : qu’importe le chemin que prendra l’évolution de la société, le besoin de l’autre restera une quête essentielle, hommes et femmes vont continuer à chercher d’une façon ou d’une autre à s’accoupler, à s’unir. C’est la multiplicité des options qui seule fera la différence.

Sophie Bramly