Politique du clitoris
Le 02/10/2019
C’est un fait indéniable, le clitoris est devenu à la mode : en t-shirt, en fanion, en boucles d’oreille, au coeur de manifs, collé aux murs, il est aussi disponible en documentaires, comptes Instagram, web séries, livres, etc. Au point qu’il est à présent difficile pour un adulte d’en ignorer l’existence.
Depuis "Un Petit Bout de Bonheur, Petit Manuel de Clitologie", le livre de Rosemonde Pujol, publié en 2009, nous sommes régulièrement revenues sur les avancées et les reculs de cet organe dont les multiples excisions psychiques au cours de l’histoire ne sont pas loin d’être aussi dévastatrices que les physiques.
Et puis voilà que Delphine Gardey, historienne et sociologue, revient sur le sujet en l’abordant sous un nouvel angle avec "Politique du clitoris".
Pourquoi sa définition a-t-elle varié au cours des siècles ? Les traductions approximatives de sources grecques et arabes sont-elles suffisantes pour expliquer les variations, ou bien faut-il s’en prendre à certains scientifiques comme Vésale, à la fin du Moyen-Age, qui pensait que l’organe n’était présent que chez les "femmes hermaphrodites", ou John Marten, médecin anglais qui au XVIIIe siècle organisa sa disparition en déclarant dangereuse la masturbation ? Qu’a fait Freud sur ce terreau ? Et pour quelles raisons le clitoris n’a cessé d’apparaitre et de disparaitre au fil de l’histoire ?
Il faudra attendre l’arrivée des femmes dans les sciences du corps pour tenter de revenir sur le rôle du clitoris dans la jouissance féminine, et les activistes de la révolution féministe des années 1970 pour "rétablir le clitoris dans sa centralité" et mettre en scène l’orgasme clitoridien comme "symbole de la puissance d’agir des femmes et le connecteur entre des groupes aux pratiques sexuelles et options politiques différentes."
Et le privé devient politique.
il devient aussi colonial, avec plus tard une " "vocation" des femmes occidentales en faveur des "femmes du tiers monde" - justifiant ce que ces dernières dénonceront comme des "croisades menées" en leur nom, mais sans leur consentement ni leur expertise".
Il devient aussi un commerce, avec l’émergence de la nymphoplastie, et l’invention de troubles qui encouragent les femmes à recourir à des interventions. "En matière de sexualité, l’objectif de la "santé sexuelle" contribue à faire évoluer le concept de "santé" vers le "bien-être" et légitime la médicalisation du "bien-être" ou le fait que "du" médical doive être engagé afin d’obtenir du "bien-être" ". Bref, il y a une "intersection entre logiques médicales et marchandes" avec des points d’étonnement qui nous laissent pantoises : "En France, le traitement pénal de ces pratiques différent suivant les personnes concernées, tout étant fait pour penser les mutilations sexuelles et génitales des femmes migrantes ou "racisées" comme absolument disjointes des "chirurgies sexuelles cosmétiques" !
Pour la philosophe Nancy Tuana, le clitoris est surtout l’emblème d’une "épistémologie de l’ignorance". "Elle suggère, on l’aura désormais compris, que l’ignorance n’est pas qu’omission mais pratique active de production de significations, et que l’absence de connaissance est directement connectée à la question de l’autorité et du pouvoir". Le brandir à tout va en 3D permet aux femmes d’être, le "travail symbolique et matériel qu’accomplit l’artefact en tant qu’objet-signe est "capacitant" ". Mais ce n’est pas l’organe qui fait le corps, ni le corps qui fait l’identité.
"L’invention est ailleurs" et ce livre indispensable.
Politique du clitoris, de Delphine Gardey
154 pages, 15,90€
Editions Textuel
© Illustration : Sophia Wallace, Clitoris géant en or, installé devant la bibliothèque de l’Université du Sud, Sewanee, Tennessee, USA.