Scum Manifesto : crasse, ordures et exaltations !
Le 12/04/2021
À force de convenances et de convenable, de morale édifiante, de coups de gueule si propres sur eux, on était en train d’étouffer. Et voilà que ressort pour la énième fois - et cette fois-ci à point nommé - le Scum Manifesto (1967) de Valérie Solanas, avec une jolie postface de Lauren Bastide.
Solanas est restée dans l’histoire parce qu’elle est celle qui, exaspérée, a tiré trois balles sur Andy Warhol, qui avait "égaré" l’unique copie d’un manuscrit dont elle était l’auteur. Avec le temps, de plus en plus de féministes prennent au sérieux son Scum Manifesto, texte radical rapidement pondu un jour de grande exaspération, qu’elle vendait elle-même (en tout cas au début), tant elle était en dehors de tout système.
Solanas chiait sur les hommes : elle les tenait responsables de tous les maux de la terre et ne prenait pas de gants pour le dire. Cet "accident biologique" avec un chromosome en moins, n’a qu’une idée fixe, baiser, dit-elle. "Et pourquoi toute cette agitation ? Si c’était pour soulager une tension physique, il lui suffirait de se masturber". Pour cette révoltée, "Le mâle est psychiquement passif. Et parce que sa propre passivité lui fait horreur, il tente de s’en débarrasser en la projetant sur les femmes (...)Mais comme ce qu’il cherche à démontrer est faux, il est obligé de toujours recommencer. Alors baiser devient un un besoin irrépressible, une tentative désespérée de prouver qu’il n’est pas passif, qu’il n’est pas une femme. Mais en fait il est passif, et son désir profond est d’être une femme. Femelle incomplète, le mâle passe sa vie à chercher ce qu’il lui manque, à tenter de devenir une femme".
Sa théorie est à rapprocher de celle du psychanalyste russe et historien de la psychiatrie, Gregory Zilboorg, contemporain de Freud. Sa thèse - qui a été soigneusement oubliée - repose sur l’idée que le désir d’enfanter des hommes est plus significatif que l’envie de pénis des femmes, au cœur des thèses de Sigmund Freud. Il est « psycho-génétiquement plus ancien et donc plus fondamental ».
On peut aussi rapprocher les idées de Solanas de la question qui a longuement animé l’anthropologue Françoise Héritier : « Cette question – pourquoi les femmes font-elles des garçons, des corps qui ne leur ressemblent pas ? – a un corollaire : à quoi servent les hommes si les femmes font les garçons et les filles toutes seules ? C’est une question qui obnubile l’humanité depuis les origines, un très grand nombre de mythes et de théories savantes ont tenté d’expliquer cela. »
Il est hélas évident que le rêve de Solanas de voir les femmes prendre le pouvoir et éradiquer tous les hommes qui ne serait pas féministes - au coeur de ce manifeste - n’a jamais été pris suffisamment au sérieux. Son ton, la radicalité de ses propos, son écriture trash l’ont tenue un peu à l’écart du panthéon des féministes. Mais le féminisme actuel, sans doute lui-même plus draconien que les précédents, embrasse cette radicalité avec enthousiasme. Comme le souligne Bastide dans sa postface, "Solanas était une enfant précoce (...) qui s’illustra par son éloquence et les texte politiques - féministes ! dans les années 50 ! - qu’elle écrivait dans le journal de la fac, pendant ses études en psychologie (...). Elle croyait en elle alors qu’elle fut violée par son père dans l’enfance, puis par son beau-père à l’adolescence, puis violentée par son grand-père chez qui elle avait été placée (...). Elle croyait en elle alors qu’elle était lesbienne et out dans les années 50. Elle croyait en elle parce qu’elle était convaincue que son talent serait plus fort que les hommes". Elle croyait en elle, mais elle était un peu seule à y croire ... et comme elle avait aussi été une travailleuse du sexe, qui avait tout vu des travers des hommes et de leur double entendre - si je puis dire - on se rangeait à l’idée qu’elle était intellectuellement peu crédible.
Il a longtemps été difficile pour les hétérosexuelles d’embrasser ce livre dans sa totalité, aussi parce qu’après tout la bite a du bon et parfois les hommes aussi. Mais de la même façon que l’obsession pour l’ADN de Dali paraissait fantaisiste et ne se révèle juste que maintenant, les propos implacables de Solanas semblent faire écho auprès d’un nombre croissant de femmes, fatiguées de constater que soixante-dix ans de féminisme ne leur ont pas permis d’obtenir une légitime liberté.
Et pour la baise, il y a toujours les doigts et les sextoys ...
Scum Manifesto
Valérie Solanas
Editions 1001 Nuits
120 pages
Prix TTC : 4.50 €