Quand les femmes étaient sexuellement "trop" gourmandes ...
Le 19/03/2019
Je suis confortablement installée dans quelque chose qui pourrait ressembler à un paradoxe : d’un côté, je suis une féministe, ardente défenseuse de l’empowerment des femmes, de l’autre, je défends l’idée que notre (re)montée en puissance n’émascule en rien les hommes, voire même : ils ont tout à y gagner.
Comment ça ?
Historiquement, la raison pour laquelle les hommes ont petit à petit restreint les droits des femmes, vient de ce que que les hommes ont eu une interrogation sur la procréation : pourquoi les femmes font-elles aussi les fils ? Le psychanalyste russe et historien de la psychiatrie, Gregory Zilboorg, considérait ce désir d’enfanter des hommes plus significatif que l’envie de pénis des femmes décrite par Freud (les histoires d’hommes enceints sont pléthores depuis des temps anciens en Europe, en Afrique, chez les Indiens …). L’anthropologue Françoise Héritier n’a pas dit autre chose. Cette asymétrie me parait être au coeur des problèmes de rapports femmes-hommes : avancer dans l’histoire en destituant les unes pour combler le manque des autres.
Destituées, nous l’avons été :
Durant la préhistoire, les femmes ont d’abord été exclues de l’accès aux armes, les empêchant d’accéder à la violence, et à la viande autrement que par le troc d’autres aliments. Cette carence a entrainé une réduction du squelette féminin (due en partie à la mortalité plus élevée des femmes de grande taille).
Puis, il y a environ dix mille ans, avec l’invention de l’agriculture, qui a entrainé celles de la propriété et de l’héritage, le corps de la femme s’est retrouvé annexé : les hommes ont eu besoin de s’assurer que la terre qu’ils cultivaient irait à leurs fils. Mais pour garantir qu’ils étaient bien les leurs, il fallait contrôler le corps des femmes. Symboliquement, la femme et la nature allaient de pair, dorénavant les hommes contrôlaient l’une et l’autre.
Ensuite, la naissance du monothéisme a chassé toutes les déesses, les trois religions ont opté pour un dieu masculin. Au passage, Lilith, première femme d’Adam (dans l’Ancien Testament), qui n’était pas née de sa côte mais du même argile que lui, a été répudiée - entre autre - pour sa liberté sexuelle, formant avec Eve le premier duo maman & putain.
Au Ve siècle, les femmes ont eu l’interdiction de recevoir les ordres sacrés. A partir du XIIe, elles ont été écartées des lieux d’érudition, renvoyées des universités. Les religions monothéistes leur ont aussi demandé de se couvrir la tête : les textes sacrés parlent des cheveux des femmes comme outils de séduction, les reliant au sexe, or au temple, rien ne doit détourner l’homme de la prière, c’est donc à la femme de se voiler. La pilosité abondante est dans de nombreuses cultures, à différentes époques, signe de virilité. À l’inverse, rasés, épilés, cachés, ils marquent une soumission.
De la Renaissance au XVIIIe siècle, dans les cercles privilégiés, les femmes étaient considérées presque à l’égal des hommes, elles avaient même un certain pouvoir politique. Il était reconnu que toutes les femmes étaient sexuellement gourmandes, et autorisées à l’adultère, comme les hommes. A partir de la Révolution, cela devenait une dérangeante intempérance : les sans culottes les préféraient à la maison, aux affaires domestiques. Il ne leur était même plus possible de se masturber, il avait été décrété un peu plus tôt que celle-ci rendait sourd, ou mille autres maux, entrainant de fait une ablation psychique du clitoris, lui-même générant une scission des genres (auparavant, le « petit pénis » des femmes les faisait considérer inférieures, mais pas différentes).
Nous n’en sommes toujours pas remis.e.s.
Avec le début de l’ère industrielle, les hygiénistes ont contrôlé un peu plus le corps des femmes, corseté plus encore leur libido. D’autres ont vu une cible marketing, ou une main d’oeuvre à bas prix.
Les différentes étapes du féminisme au XXe siècle ont donné ou rendu des droits : droit de vote, retour du divorce, libre disposition de leurs salaires, congés maternité, avortements légaux, moyens contraceptifs, etc.
Mais destituées, nous le sommes encore.
Il reste de nombreux points à résoudre, régulièrement énoncés, dénoncés. Nous traversons une période obscurantiste où les droits des femmes piétinent ou reculent, où il reste des inégalités injustifiables au XXIe siècle.
Il est vrai que l’avancée économique des femmes a bousculé les hommes, remis en question la définition de ce qui serait masculin sans apporter de réponse, fragilisé ceux qui voyaient avec effarement l’effondrement de la conception patriarcale que la société se faisait du rapport hommes-femmes. Mais depuis le début du XXe siècle, une partie sans cesse grandissante de la population adopte les codes de l’autre (apparence vestimentaire, transformation des corps), brouillant les lignes de démarcations. Des hommes, des familles homosexuelles élèvent fils et filles, Lesquel.le.s ont des visions moins anachroniques de l’un et l’autre sexe, et sont plus en paix avec l’idée qu’on porte un peu de l’autre en soi. C’est un progrès.
Mais deux choses ont changées, qui me semblent plus essentielles :
D’une part, les sciences se sont emparées de la maternité : l’allaitement est externalisé et nous aurons bientôt accès à des ovaires et des utérus artificiels, révolution humaine grâce à laquelle l’avenir de l’humanité ne dépendra plus du ventre de la femme. Dans une quarantaine d’années, après une attente de plusieurs millénaires, les hommes qui le souhaiteront pourront enfin faire leurs fils.
D’autre part, les femmes se ré-investissent dans leur sexualité, redécouvrent la magie du clitoris, apprennent à aller chercher leur plaisir en l’autre, effaçant l’idée archaïque que les hommes seraient les distributeurs d’orgasmes. Elles les délivrent de cette « charge » au coeur des questions de masculinités, tout en récupérant deux choses qui leur ont été enlevées au fil du temps : le savoir et la sexualité, les deux clés du pouvoir.
Je suis sans doute d’un optimisme démesuré, mais je ne vois pas pour quelle raison la différenciation des sexes et l’asymétrie des régimes devraient perdurer lorsque les hommes atteindront leur rêve, vieux d’au moins cinq mille ans, de pouvoir enfanter ? Je ne vois pas non plus pourquoi, lorsqu’il sera clair pour tou.te.s que l’on peut définir son genre, jouir sans faire porter à l’autre la responsabilité de l’orgasme, faire ou non des enfants soi-même, la volonté de distinction des genres ne serait pas obsolète ?
Ne pourrait-on pas, à l’avenir, se contenter de trouver en l’autre des différences qui ne tiennent qu’aux inclinations et aux fantaisies ?
Sophie Bramly
Cet article est précedemment paru dans le Huffington Post, à l’occasion de la sortie du livre Un matin, j’étais féministe