La mise à nu du sexe
Le 22/07/2012
Dans le système binaire qui est le nôtre, on assiste depuis quelques années à une césure de plus en plus nette entre ceux qui veulent rendre le sexe visible partout, à tout instant, et ceux qui le cachent, le voilent, veulent l’oublier.
Pour chaque affiche offrant la nudité ou rappellant au désir, se trouve les réclamations d’une association. Pour chaque femme laissant apparaître la naissance de ses seins ou le string de ses fesses, s’en trouvent d’autres qui cachent encore un peu plus ce qu’elles n’ont jamais voulu montrer. Pour chaque mot cru employé, d’autres mots viennent gommer la tentation de la chair par un regain de pudibonderie.
Nous sommes dans le paradoxe permanent. Si les magazines conseillent la sodomie ou la fellation comme des « it choses » du moment, si la pop music est de plus en plus explicite, on efface peu à peu des images qui autrefois étaient anodines. Les photographies, si populaires dans les années 80, de jeunes filles en fleurs de David Hamilton sont à présent oubliées, l’exposition de Larry Clarck a été interdite aux moins de 18 ans et l’actuelle exposition au Musée d’Art Moderne de Crumb ne montre aucun de ses dessins libidineux.
On conclut trop facilement qu’il y a une partie de la population, en opposition à une autre, qui vit avec son temps, que nos moeurs se libèrent, que nous sommes sur la voie de l’ouverture.
C’est partiellement vrai : il suffit de voir comment les femmes entre 20 et 30 ans aujourd’hui savent réclamer aux hommes les rapports sexuels qu’elles désirent, avec gourmandise et assurance. Et sur ce point seulement, il est possible que les magazines féminins, à vouloir imposer des modes qui doivent se glisser jusque sous les draps, ont fait quelque bien aux femmes : on aura compris que le sujet est crucial, tout autant que celui de notre indépendance économique.
C’est partiellement faux : il suffit en jetant un oeil aux différentes études qui sont égrenées chaque semaine sur nos comportements sexuels, pour voir à quel point nous nous détournons du sexe, happés par un besoin de plus en plus compulsif de consommer des biens ou des services qui nous obligent sans cesse à rester concentrés sur la représentation de notre être, au détriment de l’être, car sans don d’ubiquité, il nous est bien impossible de soigner notre enveloppe extérieure tout en se souciant de ce qui est contenu à l’intérieur. Un exemple est particulièrement révélateur : une étude récente pointait que 54% des femmes trouvent les hommes plus séduisants s’ils possèdent un Iphone (sic !) et que 15% des possésseurs d’Iphone, préfèrent, s’ils doivent choisir, passer le week-end avec leur téléphone plutôt qu’avec une personne, comme s’il était préférable de parler à distance, en payant. D’autres, ils sont 4%, répondent au téléphone pendant qu’ils sont en train de faire l’amour avec quelqu’un. Cela signifie-t-il que l’amour, l’Eros, la pulsion de vie, pâlit à vue d’oeil ? Que le virtuel, la mise à distance, l’image que l’on façonne et sert aux autres, sont préférables à la réalité ? Le présent est-il devenu si inquiétant ?
Dans ce cas, il est fort heureux que les médias et la publicité s’emparent du sexe comme il le font, l’étalent partout, nous supplient à chaque instant d’y penser. Il en va de notre économie, de notre démographie, de notre avenir.
Il en va aussi de ce que Michel Foucault appelait le droit de chacun au désir, au plaisir. Pour lui, l’essentiel était « la multiplication des discours sur le sexe, dans le champ d’exercice du pouvoir lui-même : incitation institutionnelle à en parler de plus en plus ; obstination des instances du pouvoir à en entendre parler et à le faire parler lui-même sur le mode de l’articulation explicite et du détail indéfiniment cumulé ».
A méditer sur les plages, loin des artefacts, des leurres, de ces opiums qui nous assomment, pour faire enfin remonter une envie irrésistible de sieste crapuleuse et retrouver sa vitalité naturelle dans la volupté.
[gris]Sophie Bramly[/gris]