Interview de Anna Mouglalis
Le 19/06/2009
Anna Mouglalis est révélée au public en 2000 par Merci pour le chocolat de Claude Chabrol. Elle est la muse d’un cinéma français exigeant et créatif, ainsi que l’égérie de Chanel. On la retrouvera prochainement dans Coco Chanel & Igor Stravinski de Jan Kounen et dans Serge Gainsbourg, vie héroïque de Joann Sfar. Elle réalise, pour la saison 2 de notre série X-Femmes, son premier court-métrage, Les Filles, subtile variation sur le désir féminin. Et elle nous fait le plaisir de partager avec nous ses impressions sur cette première expérience fructueuse.
Pourquoi avez-vous accepté de réaliser cet X-plicit film ?
D’une part, j’avais très envie de réaliser tout court, c’est un très beau cadeau quand on connaît la difficulté réelle qu’on a à financer des films. De plus, la question du désir féminin est évidemment très intéressante. Il est tout à fait pertinent aujourd’hui de convoquer des regards de femmes, des tentatives d’interprétations féminines de ce que pourrait être non seulement le désir, mais aussi le plaisir féminin.
Êtes-vous une consommatrice de films pornos ?
Non, vraiment pas du tout !
Quel était votre regard sur la pornographie avant ce film ?
Je n’ai même pas de regard à vrai dire, ni d’opinion réelle sur le sujet. Le peu que j’ai vu est tellement peu inspiré. Tellement mauvais sur le plan cinématographique. Je ne peux pas regarder ça sans dégoût d’abord, sans m’agacer ensuite de la nullité globale de toute l’entreprise.
Est-ce que vous avez changé d’avis à propos du sexe à l’écran après avoir tourné ce film ?
Justement, moi je n’en ai pas montré, donc non, je n’ai pas changé d’avis. Le sexe, dans les films pornographiques, devrait être écrit comme de grands dialogues. Mais l’émotion érotique et sexuelle est une dimension si personnelle, si compliquée et différente pour chacun. Moi je suis toujours un peu gênée par le sexe à l’écran pour une raison très simple : je trouve que cela met le spectateur dans une position ultime de voyeur qui peut parfois aller jusqu’à l’insupportable. Le cinéma est art immense et aussi un art du voyeurisme par nature. Le sexe à l’écran c’est presque superfétatoire, on peut montrer tant de choses sans rien montrer.
Vous avez opté pour une approche très particulière, plus symbolique que réellement figurative ? Pourquoi ?
Ce n’est pas symbolique, c’est suggestif ce qui n’est pas la même chose. La pudeur génère du désir, le caché, la retenue, le mystère font partie du lexique sexuel. On voit bien que ce qui n’est pas montré, donné tout de suite attire, à la fois le regard, la curiosité et le désir aussi. Le désir se suscite, je ne voulais pas montrer, je voulais suggérer.
Quelle est, pour vous, l’importance des mots dans l’imaginaire érotique féminin ?
C’est immense, et en même temps... J’avais envie de parler des jeunes filles. Vous savez, ces très jeunes filles à peine pubères qui sont déjà toutes bardées de signes extérieurs sexuels alors qu’elles sont encore vierges pour la plupart. Dans leur extrême jeunesse, elles citent ce qu’elles entendent dans les pornos, dont le vocabulaire est quand même assez limité. Je voulais aussi faire un film sur cette « digestion » de la pornographie par les jeunes filles. On parle beaucoup de sexualité pour montrer qu’on est libre et à l’aise avec ça, alors que souvent ce n’est pas le cas du tout. Ces mots-là, ce sont des paravents qui cachent souvent beaucoup de complexes, beaucoup de méconnaissance de soi et de l’autre.
Pensez-vous que le langage des corps soit plus important que le langage tout court dans la séduction ?
Plus important je ne sais pas, mais en tout cas, il a une place prépondérante dans notre société où tout se joue sur l’apparence et sur la façon dont on exhibe son corps ou non. J’avais envie de montrer aussi cet aspect assez triste des gens qui se laissent aller et qui négligent leur physique (les hommes qui boivent dans les bars et s’abiment le corps en même temps que la santé), ils ont du désir et de l’envie pour ceux qui misent tout là-dessus, mais pas assez pour se bouger.
Pensez-vous que les hommes soient encore séduits par une certaine forme d’innocence ?
Oui très certainement. Mais par une incompréhension aussi, par une non accessibilité immédiate. Le jeune homme se moque, n’est pas tendre avec la jeune fille, mais il est intrigué par son silence et ses regards, il est intrigué par sa différence flagrante d’avec les autres filles qui dansent et s’exhibent. Et on voit bien qu’elle est effrayée par lui, mais qu’elle est attirée, justement à cause de cette peur. Pour qu’il y ait du désir, il faut qu’il y ait de l’altérité, assez de place pour que l’imagination travaille. Il faut pouvoir reconnaître l’autre comme "autre".
Comment vous êtes vous sentie en dirigeant les acteurs ? Est-ce que c’était facile pour vous ?
J’ai adoré ça, c’était finalement très naturel, le fait que je sois actrice est certainement un plus aussi dans ce processus de réalisation. Le fait d’avoir écrit ces dialogues très musicaux aussi... Nous avons beaucoup travaillé sur le rythme. J’ai eu également un très bon directeur de casting et des jeunes actrices formidables. Le tournage a duré deux jours, deux jours de pur bonheur.
Que retiendrez-vous du tournage ?
La réalisation est une joie immense, ça me porte complètement, ça faisait longtemps que j’en avais envie. Le fait d’être impliqué à tous les niveaux aussi, le tournage, le montage, toutes les étapes. Tout est une jubilation. D’ailleurs je suis entrain de préparer mon prochain long-métrage dont le tournage est prévu entre décembre 2009 et février 2010.
Quelles sont les scènes de sexe cultes au cinéma qui vous ont marquées ?
J’aime beaucoup ce qui est dans la suggestion donc je trouve les films d’Alfred Hitchcock follement érotiques. Tout est érotisme sans en avoir l’air, mais rien n’est jamais montré. Amarcord de Fellini également, La Dame de Shanghai de Orson Welles, ou Gilda de Charles Vidor. Enfin la réalisatrice Jane Campion que je trouve très inspirée aussi sur la question du désir féminin avec Un ange à ma table, et La Leçon de piano.
Pensez-vous que les désirs et la sexualité des femmes sont vraiment montrés à l’écran en général ?
Pas vraiment non, il faut y travailler encore, c’est un vrai sujet d’investigation. Ce n’est finalement pas plus féminin de montrer le plaisir féminin de la même façon qu’on montre le plaisir masculin dans les films pornographiques. Il faut trouver une autre manière de faire et c’est l’objet des X-Plicit Films.
[gris]Propos recueillis par Julie Montaudon[/gris]
Commentaires (2)
à Anna Mouglalis,
Montrer, pas montrer... Il n’y a pas de science en la matière. En ce qui concerne le cinéma, en l’occurence, il existe de fomidables scènes érotiques et sexuelles - plus ou moins - explicites qui ont du sens : on trouvera beaucoup d’exemples...
Anna, vous êtes une belle actrice, une femme sublime et je ne doute pas de votre intelligence ; mais tentez seulement de vous débarassez de cette part occulte - et malsaine - qu’on vous a inculqué dans votre éducation et que vous reproduisez en réinventant les tabous. Tentez cet ultime combat pour la liberté : vous avez tout à y gangner...
J’attends avec impatience la sortie de vos prochains films,
Cordialement,
Patrice
Je suis d’accord avec Patrice, il n’y a surtout pas de règles en la matière.