Dormir ou faire l’amour ?

Le 31/10/2025

Nous dormons mal, nous baisons peu, mais nous scrollons beaucoup ...

C’est une étrange époque que la nôtre : jamais nous n’avons eu autant d’outils pour « mieux vivre », et jamais nous n’avons été aussi épuisés. On dort mal, on mange sous tension, on court après la sérénité en abonnement mensuel, et on se félicite d’avoir « désactivé les notifications », comme si c’était une révolution intérieure.

Dans ce grand cirque moderne, deux victimes se distinguent : la libido et le sommeil — les deux piliers les plus charnels, les plus instinctifs, de la vie. Ces fonctions vitales sont désormais des variables d’ajustement dans un monde qui nous pousse à l’optimisation, à la performance, à la connexion permanente. Dormir ? C’est perdre du temps. Désirer ? C’est vulnérable, donc risqué. Mieux vaut matcher sans s’impliquer, fantasmer sans contact, rêver sans dormir.

Le grand effacement du corps

Le paradoxe, c’est que tout se passe à travers le corps — mais sans lui. Nos pouces font l’amour à des écrans, nos regards glissent sur des pixels qui simulent la chair, nos cerveaux sécrètent de la dopamine en 4K. Nous vivons une sexualité fantôme, désincarnée, dématérialisée — mais oh combien marketée.
Les hommes se sentent souvent coupables de ne pas être à la hauteur du fantasme qu’on leur vend : performants, musclés, désirants mais respectueux, virils mais sensibles. Les femmes, elles, jonglent entre « empowerment », naturel bien filtré, et injonction à rester désirables sans jamais paraître en avoir besoin. Au final, tout le monde se compare, se contracte, et finit par préférer la compagnie d’un avatar bienveillant ou d’une appli de méditation qui chuchote : "tu es parfait".

La libido sous surveillance

Nous sommes entrés dans une ère étrange où le désir est suspect, le repos est coupable et la connexion est obligatoire. Chacun devient le community manager de sa propre vie : contrôler son image, ses émotions, ses calories, sa productivité, son sommeil, sa « santé mentale » — même la spontanéité doit être planifiée.

Pendant ce temps-là, les corps décrochent. Il n’y a plus ni vrai contact, ni vrai silence, ni vrai repos. Le marché du bien-être a toujours une solution : un objet connecté de plus à acheter...

Le stress comme anesthésiant collectif

Au fond, si nous fuyons dans des mondes virtuels, c’est peut-être moins pour rêver que pour oublier. Oublier que nous n’arrivons plus à être « dans la norme », ni même à savoir ce que cela veut dire. L’homme moderne se sent en retard sur sa propre vie ; la femme moderne se sent en faute devant ses propres idéaux. Et tous deux scrollent jusqu’à l’endormissement, espérant que quelque part, entre deux algorithmes, un peu de paix se cache encore.

Mais qui sait si un jour prochain, on ne redécouvrira pas le luxe ultime : ne rien faire. Dormir sans application, aimer sans écran, respirer sans performance. Et ce jour-là, peut-être, nos corps arrêteront de nous envoyer des notifications.