L’orgasme féminin est-il si flou ?

Le 01/12/2014

C’est parce que la définition de l’orgasme féminin est encore si floue que la couverture du livre de la photographe américaine Linda Troeller et l’auteure et ethnographe allemande Marion Schneider, l’est également. Mais c’est dans le souci d’apporter un nouvel éclairage, qu’elles ont rencontré des femmes partout dans le monde, pendant dix ans, pour les faire parler de leurs orgasmes, des émotions qu’ils engendrent, des sensations qu’ils procurent et des souvenirs qu’il en reste, pour affiner le tableau de la sexualité féminine au XXIe siècle.

« Orgasm, photographs & interviews », sorti en langue anglaise début novembre, a réuni un ensemble de femmes magistrales : la romancière Catherine Millet, Eve Ansler (auteure des Monologues du Vagin), Catherine Johnson-Roehr, du Kinsey Institute for Research in Sex, Gender, and Reproduction, le Dr Betty Dodson, célèbre sexologue américaine spécialiste de l’orgasme féminin, et même un homme, le Pr. Jacques Poulain, qui tient la chaire UNESCO de philosophie et culture, à l’Université Paris VIII. 25 femmes racontent des souvenirs, des réflexions sur les effets de l’orgasme, sur l’estime de soi, la façon de communiquer avec leurs partenaires, sur leurs fantasmes, en répondant toutes aux mêmes questions : « Que signifie pour vous le mot orgasme ? », « Vous souvenez-vous de votre premier orgasme et pouvez-vous mimer devant la caméra l’effet que cela vous a fait ? », « Avez-vous des fantasmes lorsque vous faites l’expérience d’un orgasme ? », « Quel est le futur de l’orgasme dans notre société ? ».

Certaines se sont livrées au jeu sans retenue, arrivant jusqu’à l’orgasme sous l’oeil de la caméra ou racontant avec moult détails leurs premiers ébats. Une Allemande raconte ses premiers orgasmes, lorsqu’enfant elle jouait au docteur avec son frère. Une Américaine détaille comment aujourd’hui encore c’est avec sa brosse à cheveux qu’elle obtient ses orgasmes les plus intenses. Une autre a besoin de crier très fort, et plus elle crie plus son orgasme s’intensifie. Toutes les histoires ne sont pas un feu d’artifice de plaisirs : Une Hollandaise s’est remise petits à petit des attouchements de son père en se donnant des orgasmes réguliers. Une autre raconte qu’elle avait 29 ans au moment de sa première jouissance, au moment de la naissance de son fils, elle en a eu peu d’autres après ça. Toutes veulent raconter leurs lents cheminements vers l’extase, pour faire partager leurs expériences à d’autres femmes, car une seule chose est sûre à la lecture du livre : les orgasmes féminins – si difficiles à reconnaître au début de la vie sexuelle - se suivent mais ne se ressemblent pas.
Betty Dodson note très justement dans sa préface qu’effectivement on ne peut définir de façon cartésienne ce qu’est un orgasme féminin, chacune en a sa propre définition et ne peut qu’en décrire les sensations. « Notre problème principal aujourd’hui c’est que notre société utilise toujours le modèle masculin comme référent. Pourtant, nous fonctionnons autrement, puisque la plupart des femmes ont besoin d’une forme ou une autre de stimulation clitoridienne, au lieu d’une pénétration vaginale uniquement. » Par ailleurs, les femmes peuvent pratiquer le « edging » (aller au bord) c’est-à-dire s’éloigner par la pensée pour s’empêcher de jouir trop vite, puis revenir au bord de l’orgasme et s’en empêcher de nouveau, et ainsi de suite pour augmenter le désir et le rendre plus urgent, ce que les hommes peuvent difficilement faire. Pour ces femmes-là, la jouissance est accompagnée de frissons et tremblements, de réflexes pelviens continus pendant que l’énergie sexuelle s’écoule lentement.

Pour le professeur Jacques Poulain, si aucune pornographie n’est capable de traduire les sensations de l’orgasme, ce livre - en racontant les difficultés et les plaisirs - transforment les expériences les plus intimes en œuvres d’art. Eve Ensler s’enchante de ce que ce livre révèle le pouvoir, l’originalité et la nécessité de l’orgasme féminin. En donnant aux femmes corps et voix sur leur sexualité, le livre devient profondément érotique en soi.
Et c’est bien sur ce dernier point que l’on insiste : ces confidences sont excitantes, dans tous les sens du terme.

Orgasm, photographs & interviews
Linda Troeller et Marion Schneider
188 pages, 90 photos couleurs
Prix : $35 US