"Gorge profonde" à la télé
Le 16/02/2022
En 1969, un interdit tombe aux États-Unis et la pornographie fait ses premiers pas au cinéma. Un coiffeur, qui entendait depuis trop longtemps ses clientes se plaindre de vies sexuelles mornes et ennuyeuses, décide de se lancer dans le cinéma et sort en 1972 Gorge profonde, une bombe qui soixante ans plus tard fait encore parler d’elle et donne l’occasion à la documentariste Agnès Poirier de signer un brillant documentaire.
Gérard Damiano s’est éloigné de son salon de coiffure pour se rapprocher courageusement de la mafia qui détenait tous les lieux X du quartier de Time Square, à New York, et qui était prête à se lancer dans la production porno, lequel deviendra très vite le business le plus lucratif depuis la prohibition.
À la façon d’un homme au service des femmes, il choisit pour son casting une jeune femme issue d’une famille prude, Linda Lovelace, dont la plastique n’a rien de sulfureux, mais qui a une habilité technique inhabituelle pour faire des pipes.
C’est l’époque de la révolution sexuelle, de la (re)découverte du clitoris et de l’orgasme féminin par Master & Johnson. Du coup, le clitoris s’invite dans le scénario et le réalisateur, qui tire le film vers la comédie en situant l’organe du plaisir au fond de la gorge de l’héroïne.
Si l’histoire n’a retenu du film que cette "gorge profonde", c’est en réalité une quête de l’orgasme féminin qui est le fil conducteur du film. L’orgasme, incroyablement symbolisé par des cloches d’église, une fusée qui décolle et un grand feu d’artifice, est un fait inédit dans la réalisation des films porno masculins.
L’histoire aurait pu s’arrêter au moment où le maire conservateur de New-York fit saisir tous les films porno. Mais le résultat a été inverse à l’effet attendu : tout le monde s’est rué au cinéma, afin de voir ce film menacé d’interdiction, lequel entraina rapidement l’intégration de la sexualité à l’écran dans le cinéma hollywoodien, en tout cas jusqu’à l’arrivée de Ronald Reagan et de son parti conservateur.
Alors que la cassette VHS continuait de véhiculer directement dans les foyers le fruit défendu, Linda Lovelace sortit un livre, Le supplice, où elle révélait avoir travaillé dans l’industrie pornographique uniquement forcée par un premier conjoint qui la violentait. Au même moment, les féministes se soulevaient contre la violence masculine à leur égard. La pornographie fut incluse au combat et c’est à ce moment-là qu’eut lieu la scission du mouvement, entre féministes opposées à la pornographie et celles qui se déclaraient pro-sex, sex positives, revendiquant le droit des femmes à explorer leur sexualité librement, à faire des films pornographiques pour femmes, comme Candida Royalle qui créa la première maison de production de films X pour femmes.
Bien que la conclusion du film documentaire d’Agnès Poirier soit toute autre, nous sommes tentées de dire que soixante ans plus tard, l’intention du réalisateur et la cascade de conséquences engendrées par la sortie de son film est aussi largement positive ...
Actuellement sur Arte.tv : https://www.arte.tv/fr/videos/09973...