Le gooning, imbécile et heureux ?
Le 11/01/2024
Après le "edging", vient le "gooning", qui aurait le vent en poupe. Bien que le vaste élargissement du vocabulaire sexuel serve avant tout à combler le vide (les rapports sexuels sont en chute libre dans le monde), la masturbation se porte peut-être mieux, symbole d’une pratique en phase avec une époque si narcissique... Mais en quoi consiste ces deux pratiques ?
Le "edging", comme son nom l’indique en anglais, consiste à se mettre au bord, c’est-à-dire à s’approcher de l’orgasme sans chercher à l’atteindre, en répétant plusieurs fois l’opération pour que l’excitation s’intensifie et qu’à la fin l’orgasme soit plus puissant.
Le "gooning" est l’étape suivante, lorsqu’une personne est capable de sessions d’edging prolongées. Vient le moment où elle est captivée par les sensation provenant de ses organes génitaux masturbés (quels qu’ils soient : pénis, le clitoris, le vagin, seins, fesses...). Les adeptes de cette pratique affirment tomber dans un état de transe ou semi-méditatif, lesquels sont liés à la libération répétée de l’ocytocine, de la dopamine et autres hormones du bien-être, lorsqu’ils maintiennent - parfois pendant plusieurs heures - cet état d’excitation qui précède l’orgasme.
Pour réussir à atteindre cet état de gooning, des passionné.e.s suivent des fils de discussions sur le Web, qui abondent de conseils sur la manière d’y parvenir et de prolonger au mieux l’expérience (tout y passe : films X, sextoys, poppers...). Cette tendance du "bating" (version courte de "masturbating", se masturber en anglais) à sa communauté de "bators" : ils et elles ont choisi la masturbation comme principale source de plaisir sexuel (seul.e.s ou a deux). On est à l’opposé de l’orgasme vite fait bien fait pour bien dormir : il faut aussi prendre son temps, découvrir toutes les zones orgasmiques du corps, trouver d’autres techniques masturbatoires. Cela force à sortir de la routine, qui, comme on le sait, n’est jamais bonne.
L’écueil, c’est évidemment le temps passé à se masturber : jusqu’à une a deux heures par jour. Et c’est là qu’on en arrive à l’origine du mot : "goon", apparu pour la première fois en 2005 dans l’Urban Dictionnary, signifie littéralement "personne stupide" et il y a un peu de ça quand, goonant dans un calme profond, atteignant une forme de transe, les personnes sont concentrées pendant des heures sur leur corps et très loin des vastes problèmes du monde.
Dès 1979, le sociologue Christopher Lash décrivait déja la tendance narcissique de notre société dans son livre culte, "La culture du narcissime" : " Puisque la société n’a pas d’avenir, il est normal de vivre pour l’instant présent, de fixer notre attention sur notre propre « représentation privée », de devenir connaisseurs avertis de notre propre décadence, et enfin, de cultiver un "intérêt transcendantal pour soi-même" ". Le bien-être, priorité absolue de l’individu narcissique, l’éloigne de l’altruisme et c’est, pour lui, une façon de se protéger des tensions induites par la vie moderne. Le gooning semble être le paroxysme de cette tendance, dans son aspect purement sexuel...
© illustration : Pablo Picasso "Nu".