Soumission au féminin

Le 04/06/2010

Martine, l’épouse de Sganarelle dans Le médecin malgré lui , est une femme comme les autres. Entendez par là qu’elle est fatiguée de consacrer tant d’énergie à ses enfants, et qu’elle aimerait bien que son mari l’aide davantage à la maison. Mais quand Sganarelle, excédé de ses reproches, se décide à la battre, quand un tiers entreprend de les séparer, la volte-face de Martine est totale :

« — Et je veux qu’il me batte, moi.
— Ah ! j’y consens de tout mon cœur. (…)
— Est-ce là votre affaire ?
— Vous avez raison.
— Voyez un peu cet impertinent, qui veut empêcher les maris de battre leurs femmes.
— Je me rétracte.
— Il me plaît d’être battue. »
Et oui ! Elle est comme ça, Martine. Il lui plaît d’être battue. Allons allons, me direz-vous, la scène a été écrite au XVIIème siècle… Depuis lors, les choses ont bien changé ! En sommes-nous si sûres ? De nombreuses femmes témoignent au contraire de leur attachement, dans le quotidien de leur vie de couple, à une certaine forme de soumission domestique. Mais bien entendu, la soumission n’est pas qu’affaire de psychologie. On la retrouve dans l’intimité de nos alcôves, sur un mode qui reste ludique la plupart du temps, mais peut également prendre la forme d’un asservissement total… Enquête sur un sujet frémissant : la soumission au féminin.

Le seigneur et l’intendante

Elle a 36 ans, un sex-appeal affolant, un humour audacieux, un parcours professionnel solide, le compte en banque qui va avec. Avec tous ces atouts, Emma incarne, plus encore que la « réussite », l’image d’une femme libre et maîtresse de son destin. Et pourtant… Dans ses rapports avec les hommes, Emma se comporte comme une petite fille. Face à eux elle se sent diminuée, mise sous une tutelle dont elle ne comprend ni l’origine, ni la nécessité. Et bien que ce constat l’agace au plus haut point, elle ne parvient pas à le dépasser… « Quand j’étais plus jeune, je ne me posais pas ces questions. Je me disais que j’étais un peu vieux jeu, ou que les féministes étaient allées trop loin. Après tout, la galanterie a bien des charmes. N’est-il pas naturel d’aimer se sentir protégée, traitée en princesse ? Mais au fur et à mesure de mes histoires amoureuses, j’ai réalisé que ces hommes « traditionnels » qui me plaisaient tant me proposaient un cadre de vie qui m’infantilisait complètement. A cause de ça j’ai dû quitter des hommes dont j’étais très amoureuse. Bon... Après tout c’est la vie. En fait, ce qui me perturbe vraiment, c’est que mes mésaventures n’ont rien changé. J’ai beau savoir qu’ils ne me laissent pas la liberté à laquelle j’aspire, aujourd’hui je reste complètement accroc aux machos ».

Emma n’est pas la seule dans son cas. Peur du changement, des prises de responsabilité ? Désir inconscient de prolonger l’attitude d’obéissance aux injonctions parentales ? On sait en effet que les filles ne sont pas élevées comme les fils. De nombreuses études psychologiques ont démontré que, non contentes d’exiger davantage de leurs filles que de leurs garçons dans le cadre des travaux ménagers, les mères ont également tendance à considérer que celles-ci sont plus fragiles, et du même coup à les surprotéger. Dans Le complexe de Cendrillon , Colette Downing décrit fort bien les mécanismes par lesquels la prise d’indépendance est retardée chez les filles, tandis qu’elle est encouragée chez les fils. Ce qui aboutit bien souvent chez les femmes au « développement de besoins d’affiliation excessifs ».

En dépit des avancées féministes réalisées ces cinquante dernières années, le schéma de couple traditionnel a donc tendance à perdurer. Aux hommes, le soin de défendre les intérêts du couple et de la famille dans ses rapports avec l’extérieur ; aux femmes, celui de « faire tourner » la maison. Les chiffres sont connus : d’après l’enquête « Emploi du temps » réalisée par l’INSEE en 1999, les femmes passent 3h30 par jour à s’occuper des tâches ménagères, contre 2h pour les hommes. Ce qui est plus étonnant, c’est le rôle que semblent jouer les femmes dans la lenteur de cette évolution. Selon une étude réalisée l’année dernière par l’Observatoire européen de la répartition des tâches ménagères au sein du couple, 81% des françaises estiment travailler plus au foyer que leur conjoint, mais 62% estiment que les tâches ménagères font partie de leur rôle de femme.
L’égalité homme-femme tant revendiquée ne nous paraît donc pas si naturelle que cela. Malgré l’accès des femmes au travail, dans bien des foyers, l’homme reste un seigneur, et la femme une intendante. Dans ces circonstances, le rapport de domination peut s’établir… jusque dans la chambre à coucher.

Les jeux sexuels de soumission

A en juger d’après les étalages de sex-shops parisiens, la soumission féminine a encore de beaux jours devant elle. Les vendeurs interrogés sont formels : les accessoires comme les menottes de fourrure rose ou les déguisements de soubrette sont des best-sellers dont le succès ne se dément pas. Et que dire des nombreux groupes et pages consacrés à la fessée sur les réseaux sociaux comme Facebook ? « La France veut interdire la fessée, mais moi j’aime ça », clament ainsi deux lycéennes, suivies par plus de 30.000 membres, des femmes essentiellement. Même en tenant compte de l’humour des unes et de la volonté de provocation des autres, on reste songeur devant tant de « hmmmm » langoureux, ou de témoignages tels que « la fessée pour moi c’est vital… j’en mérite beaucoup ».
Est-ce parce que la domination masculine fait partie intégrante de notre culture ? Les femmes parlent en tous cas de ces fantasmes avec une très grande liberté de ton. Le top 5 des situations rêvées est donc facile à établir. La fessée* vient en tête du hit-parade, suivie d’assez près par le jeu de la poupée sexuelle (« attache-moi les mains, bande-moi les yeux, et fais de moi ce que tu voudras »). Puis viennent les mots crus et les ordres plus ou moins tendres. Il semblerait ainsi que nous soyons nombreuses à perdre la tête à l’écoute d’un « salope » susurré à nos oreilles, ou d’un plus explicatif « t’aimes ça, ma petite chienne »… Sans oublier le classique « suce-moi », accompagné du geste : cheveux empoignés vigoureusement sous la nuque et bouche pénétrée avec une légère brusquerie. En position numéro quatre viennent les petites sœurs de la fessée : les morsures ! Épaules, fesses, mais aussi lèvres et pointes des seins sont sans conteste le terrain d’expression privilégié des incisives de nos amants. Mais n’oublions pas le clitoris, qui aime lui aussi se faire mordiller, avec la crainte délicieuse que le partenaire ne s’emballe un peu trop. Et enfin, pour clore le palmarès, les déguisements. On a parlé de la soubrette, mais à en croire les mêmes vendeurs de sex-shop, la lycéenne et l’esclave grecque (!) marchent assez bien elles aussi.

Fessée, immobilisation, mots crus, morsures, mises en scène… Autant de pratiques fréquemment employées par des couples désireux de pimenter leurs nuits. Nous sommes ici dans le domaine des fantasmes autoritaires mais ludiques, de ceux qui font le sel de romans comme ceux d’Alina Reyes. Mais certains partenaires poussent leur pratique bien plus loin. Nous franchissons ici les frontières du SM.

Comme un coup de fouet

Nous les appellerons François et Caroline. Elle est une jolie femme de trente et un ans. Lui, à l’orée de la quarantaine, dégage une assurance certaine sous ses premiers cheveux blancs. Il la regarde très amoureusement. Ils ont accepté de se raconter, mais ils ont insisté pour le faire ensemble. C’est Caroline qui commence : « Jamais je n’aurais pensé apprécier ce genre de choses. Mais dès la première séance, j’ai compris que c’était mon truc… ». Reprenons dès le début. Caroline a rencontré François lors d’une soirée nocturne d’un grand musée parisien : « J’ai été électrisée par son regard, cette façon qu’il a eue de me détailler méthodiquement sans se soucier le moins du monde d’être repéré ». François explique de son côté qu’il a tout de suite été séduit par la silhouette gracile de Caroline, et par son air doux. Dominateur aguerri, il a rapidement décelé le « potentiel » de sa future compagne dans ses joues roses et son visage pudiquement détourné. La première séance, donc ? Elle s’est déroulée chez lui, chez le maître. Caroline y est arrivée en deuxième partie de soirée, après avoir bu quelques coupes de champagne. Était-elle ivre ? « Non. Simplement éméchée. Si vous voulez savoir si j’ai été abusée, tout de suite je vous réponds non. Quand il m’a annoncé qu’il m’emmenait chez lui, je n’ai pas envisagé un instant de me défiler. Je ne savais pas précisément ce qui m’attendait, mais il était clair qu’on coucherait ensemble, et pas forcément de la façon la plus conventionnelle ».

François abandonne Caroline quelques instants dans le salon, et revient armé d’une longue cravache dont la vision fait frémir la jeune femme. « Il m’a entrainée vers la cheminée, m’a tournée dos à lui, et m’a ordonné de me déshabiller. J’avais peur, mais j’étais aussi très excitée ». Ici Caroline marque une pause. François sourit et passe derrière elle. D’un geste doux il lui caresse les épaules, comme pour l’encourager à continuer. « Le premier coup a vraiment fait très mal... Mais les suivants ont été bien pires ! Au début j’étais décidée à jouer les braves, mais la brûlure de la cravache était d’une intensité inouïe. Rapidement je me suis mise à hurler. Je pensais que je n’allais pas en supporter plus, j’étais sur le point de lui demander d’arrêter quand il s’est passé quelque chose de curieux dans ma tête et dans mon corps : tout à coup je n’ai plus eu mal. Ou alors, la douleur est devenue délicieuse, je ne sais pas... C’est compliqué à expliquer. Je crois me souvenir que je me suis vue mentalement de dos… Oui c’est ça, je me suis vue offerte à lui et alors ça a été comme une déferlante de plaisir impossible à arrêter. J’ai écarté mes jambes, je me suis cambrée au maximum… ».
François : « Alors j’ai commencé à la fouetter plus fort… »
Caroline : « Et j’ai joui, j’ai joui comme jamais. »

Et après, qu’ont-ils fait ? Se sont-ils allumé une clope ? Étaient-ils gênés ? Caroline : « La clope oui, mais gênée pas du tout ! Je me sentais légère comme une plume, aérienne ». Légère comme soulagée ? Soulagée d’une culpabilité ? « Oui, il y a de ça. Comme si je me rachetais sous ses coups ». Mais se racheter de quelle faute, au juste ? Caroline réfléchit un moment, avant de déclarer qu’elle ne sait pas très bien. Elle pourrait entamer une psychothérapie, oui. Mais sa vie sexuelle lui plaît bien comme ça. Elle ne voudrait pas perdre François, ni le plaisir qu’elle trouve dans ses bras depuis maintenant près de deux ans. Sans compter que le plus dépendant des deux n’est pas celui qu’on croit, et qu’elle sait combien François a besoin d’elle. Lui me confirme que Caroline est une soumise hors paire et que, conformément à la dialectique Hégélienne du maître et de l’esclave, il serait à présent tout à fait incapable de se passer d’elle. Il faut reconnaitre que Caroline a du mérite, puisque pour lui elle a enduré les pinces à sein, les brûlures à la cire, les exhibitions dans les boites à partouze, l’infibulation, le gang-bang les yeux bandés…
Ha oui quand même ! Caroline et François s’amusent de la réaction de surprise que j’ai laissé échapper. Ils m’expliquent qu’ils sont assez heureux d’en parler avec moi. Pour eux, le SM est avant tout un acte de liberté, une pratique d’initiés réservée à ceux qui ont su oser. Mais il demeure très difficile d’en parler à l’entourage. Les quelques tentatives pour aborder le sujet ont tourné court devant la gêne de leurs amis. François analyse « Tout le monde en meurt d’envie, mais sauter le pas n’est pas facile. Surtout pour les hommes… ». Je marque à nouveau mon étonnement. Les hommes auraient-ils du mal à s’assumer en dominateurs, fouet ou cravache à la main ? Ici, François rit de nouveau : « Vous n’y êtes pas du tout ! Je vous parle des hommes soumis ». Les hommes soumis ?! Hum, hum… Voilà qui ferait un intéressant sujet d’enquête. Alors, rendez-vous ici même la semaine prochaine ! Et ne discutez pas… c’est un ordre !


[gris]Caroline Colberti[/gris]


* La fessée a cependant une véritable justification, au-délà d’un symbole de domination, elle augmente la circulation sanguine et ainsi l’intensité de l’orgasme.

Biblio :
Molière, Le médecin malgré lui, 1666
Colette Downing, Le complexe de Cendrillon, éd. Grasset, 1982

Études statistiques :
Observatoires des inégalités
Ipsos

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Commentaires (2)

  • Anne

    La première fois que mon copain m’a mis une fessée, j’ai du étouffer un rire tant ça me paraissait ridicule et calé sur les films pornos classiques. Et puis finalement, je me suis laissée prendre au jeu et j’ai décollé.
    Depuis, je ne dis jamais non quand il s’agit de punir la vilaine fille qui est en moi.

  • M

    Franchement, je ne suis pas sure du tout que tout le monde en meurt d’envie. Mais bon.