Papilles érotiques et autres amuse-bouches

Le 21/04/2009

L’érotisme et la nourriture ont toujours constitué une des meilleures recettes sensuelles… Un dîner en tête à tête demeure un rendez-vous quasi incontournable dans la relation : La main et la bouche entrent en jeu, exacerbés par un petit parfum de volupté à trop dévorer l’autre des yeux jusqu’à se convaincre de n’écouter que son désir… Là les convives parlent la même langue et profitant de la troublante homonymie de « chère » et « chair », touchent enfin du doigt une vérité presque absolue : dans la jouissance et le plaisir c’est chacun ses goûts…

Jeux sans interdits et fruits peu défendus

Vos parents vous l’ont assez répété : il ne faut pas jouer avec la nourriture… Plaidons aujourd’hui la désobéissance, selon les circonstances, pour un bon usage de ce jeu éducatif interdit aux enfants (et aux grincheux de l’économie ménagère), la sitophilie. Cette paraphilie regroupe « toutes sortes d’utilisation de nourritures à des fins sexuelles » et ce, de plusieurs façons. Les aliments « durs » et oblongs comme les concombres, carottes, saucissons, etc. font office de godemichets. L’autre voie consiste à appliquer des aliments sur les parties sensibles du corps puis titiller, mordiller, lécher, savourer…

Le tout dépendant de son goût, au propre comme au figuré, car nulle part ailleurs il n’est plus juste.

Au menu des agapes sensuelles, les sitophiles ne manquent ni d’idées ni de créativité : la langue dûment frottée d’un quartier de citron ou échaudée d’un bouillon d’ortie, émoustille une fellation ou un cunnilingus… le pénis, enveloppé d’une crêpe chaude (pas trop !) ou entortillé de spaghettis s’offre à un appétit goûlu. Pourquoi ne pas introduire un esquimau à laper entre des lèvres roses ou une cerise à déloger de galante manière ? Desserts et crèmes variées sur l’étal et boissons à volonté dans des calices intimes, digestif à discrétion directement à la source : les plus voraces ont, de tout temps, trouvé cent mille façons de réellement se croquer mutuellement la pomme.

Bonne chère, bonne chair

En fait, l’association nourriture et sexe remonte à l’Antiquité avec les très fameuses orgies. Eros, lui-même, fut conçu lors de l’une d’elles. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que le terme s’est réellement empreint d’une forte connotation sexuelle. Dans son livre Aphrodite paru en 2001 en France, Isabel Allende en avoue le fantasme et détaille les préparatifs : des invités soigneusement sélectionnés, quelques jeux, un menu varié à base de champignons (aphrodisiaques), une musique joyeuse et du vin. Et manquant furieusement d’esclaves, elle opte raisonnablement pour une réunion « de taille modeste ». Parfois si modeste qu’on peut se limiter à deux convives…

Mais préparer une mini-orgie en couple aussi constitue un très bon préliminaire des jeux amoureux et ce, dès le carreau de la cuisine : on se souvient de Mickey Rourke et Kim Basinger vidant agréablement leur frigo dans 9 semaines 1/2 . Isabel Allende, elle, s’adresse ainsi à son beau-fils : « Et s’il y a un deuxième rendez-vous, souviens-toi que la préparation partagée du repas est un préambule à l’amour. Peu importe que les recettes ne soient pas vraiment aprodisiaques (…) du moment que les sauts et les fôlatries dans la cuisine le sont. Joue au lit, joue avec la nourriture. De grands auteurs (…) ont fait de la nourriture une inspiration sexuelle. »

Quelques grammes de légèreté

Alain Passard, l’artisan musicien chef cusinier de l’Arpège***, amoureux d’un art de vivre qui mêle table et sensualité, parle de cette même complicité. « Il faut faire venir l’autre dans la cuisine mais… quand on le sent », précise-t-il car pour lui « tout est dans le geste, l’échange, la main tendue… ». Ni démonstration ni virtuosité, ces mots n’appartiennent pas à son vocabulaire, il est plutôt à la recherche de l’harmonie, de la souplesse, de la précision. Une définition des caresses en somme. « Il faut se débarrasser de la brutalité ; laisser les choses s’imbriquer, ne pas solliciter mais recevoir et donner : s’occuper du galbe et de la courbe, aimer toucher et le toucher » ajoute-t-il pour expliquer son extraordinaire talent de… chef ? Sa cuisine est avant tout un atelier dédié à la créativité pour présenter ensuite des plats couleurs du temps dans les assiettes. « Les maîtres-mots sont l’harmonie, la main, la légereté, et la retenue… le gommage du geste. Je travaille sur la dynamique ! De toute façon, le point commun entre la beauté et la sensualité, c’est l’ouverture » conclue-t-il en faisant onduler ses mains devant lui. Les mots restent en suspens : la gestuelle qui prolonge son silence évoque-t-elle la pulpe d’un fruit ou la peau d’une femme ?

« A ses fourneaux, l’homme qui cuisine exprime une quintessence, une synthèse de l’universel et du particulier sous forme de singularité. C’est en elle que résident sa nature et ses potentialités d’artiste. Son travail relève d’autant des beaux arts qu’il manifeste un génie propre, une puissance unique, sans double, reconnaissable (…) » analyse Michel Onfray dans son livre La raison gourmande. Conscient du formidable potentiel de créativité qu’on lui a donné là, l’homme s’est donc chargé de faire de sa cuisine l’antichambre de ses plaisirs.

Synthèse sur la libido 100% bio

Petites touches de licence, les aphrodisiaques sont vieux comme le plaisir. Aujourd’hui la science analyse les vrais principes de ces substances réputées améliorer la libido, mais il convient de ne pas leur ôter tout sentiment magique… Si les valeurs nutritives, énergétiques et vasodilatatrices existent indéniablement, autant garder en mémoire pourquoi on s’en repaît. Et hormis la popularité du gingembre un peu galvaudée (il améliore le volume de sperme, non celle de l’érection), le ginseng, le safran et la cardamone restent de francs coquins… La pomme, symbole ultime de la tentation, ne vaut ni le pâle céleri ni la coquine grenade.

Reconnus par les amoureux des arts de la table et du lit, le champagne représente le roi des vins, gais compagnons de débauche dilatant les vaisseaux sanguins et annihilant les inhibitions. Le chocolat, le mets des dieux aztèques a longtemps joui d’une réputation si sulfureuse qu’on le buvait souvent en cachette. Envoûtant, excitant, aujourd’hui on sait qu’il stimule la fabrication de la dopamine. Le miel, enfin, contient l’érotisme le plus doux du monde, il est le « trésor doré de la terre, produit de l’âme des fleurs et du travail des abeilles (qui) a permis d’adoucir la vie bien avant que l’on ait découvert le sucre (…) », décrit Isabel Allende. « Le contenu élevé du pollen en vitamine B, C et en minéraux stimule la production d’hormones sexuelles. Le corps l’absorbant en un temps très court, il ranime instantanément les amants épuisés… » Il se dit qu’Attila aurait bu tant d’hydromel pour ses noces qu’il en serait mort : étrange Lune de Miel !

Puisqu’un orgasme ferait perdre plus de 300 calories voilà de petits excès de loin plus appétissants que les solides et nutritives « couilles » de taureau ou de bouc censées revitaliser les messieurs… Au bout du compte il reste la possibilité, comme Casanova, encore lui, de consommer les « troufles » (truffes) lavées au champagne et servies en ragoût.

Avalez la « Sauce à Robert »…

De ce grand amoureux et ses illustres compagnons de débauche – Sade, Crébillon, l’Abbé du Prat, etc. – il y a beaucoup à apprendre sur l’alliance de l’érotisme et de la gourmandise. Pour les libertins du XVIIIe siècle, aimer et manger sont les deux facettes d’une même jouissance. A tel point que selon Serge Safran, journaliste et directeur littéraire, auteur de « L’amour Gourmand – Libertinage gastronomique au XVIIIe siècle » (L’Attrape Corps - Ed. La Musardine) « c’est observer à quel point le lien entre faire l’amour et se nourrir s’impose dans leur façon de s’exprimer, de se comporter, de fantasmer. Ce lien que le libertin tisse en permanence entre la table et le lit (…) l’entraîne ainsi à métaphoriser la langue pour en jouir davantage. » On s’aspire, mais surtout on se « dévore » mot qui rencontre un tel succès qu’il se dit à toutes les sauces… Elles-mêmes devenant une image pour les diverses sécrétions du corps qu’il plaît d’avaler goûlument. Bref, « les expressions et mots liés à la nourriture (…) répondent très souvent en écho aux désirs physiques amoureux, des plus civilisés aux plus primitifs, sans qu’ils soient pour autant privés de charme, même au plus fort des scènes les plus crues, les plus osées » quelques offices de la censure et la poésie permettant de plus de fleurir le langage un peu vert et trop cru.

La belle jardinière et le beau jardinier

Un usage charmant et poétique donnent alors aux femmes et plus particulièrement à leurs attributs de nombreux petits noms fruitiers ou légumineux sauf si un mauvais sort ne les entraînent vers une mauvaise réputation, vers les fonds marins et les parfums trop iodés. Les amantes croissent au fil des pages libertines comme autant d’appétissants végétaux à accomoder aux petits oignons avant d’être promptement dévorées selon de bien succulentes recettes comme celle du « Bonbon à la crémière, jeunes fruits et biscuit trempé - Ecartez les rebords d’une figue dodue pour découvrir la pulpe : massez-la délicatement pour en recueillir le jus - Versez votre récolte sur le petit pois à peine sorti de sa cosse - Touillez jusqu’à pénétration complète du nectar. Faites mijoter le tout puis seulement déglacez l’abricot dans son entier - Pendant que vous portez la nouille de Maître Queux à ébullition, faites fondre la crémière avant de la lier et la fouetter vivement - Beurrez l’oignon. Insérez-le entre les miches dorées avant de mettre la baguette dans le fournil - Foutez le tout à la casserole jusqu’à la Saint-Chrème. »

Manger comme un ogre, aimer une ogresse

A l’issue de ce tour d’horizon et au vu des nombreuses facettes que recouvre la relation entre manger et aimer, on pourrait conclure un peu vite, que l’un et l’autre vont si bien ensemble qu’il en deviennent indissociables. Qui aimerait la cuisine aimerait le sexe et vice versa. En fait il ne faut pas être trop catégorique même s’il apparaît clairement qu’être friand de l’un se double, très généralement, d’un sérieux appétit de l’autre. Il n’y a qu’en spoliant ses sens qu’on les rend sourds et aveugles aux émulations conjointes de plaisirs quasi similaires. Les satisfaire un jour c’est vouloir les satisfaire toujours, au moins souvent et en de multiples occasions… Toutfois, une étude scientifique sérieuse manque encore pour vérifier les incidences entre les goûts culinaires et les préférences sexuelles. On peut préférer le light à la graisse d’oie pour une question d’équilibre et trouver énigmatique que les Indiens « inventeurs » du Kâma Sutra, n’en ingurgitent pas moins des Dal aux lentilles sans sourciller. C’est donc par sa créativité et sa seule envie que chacun développe son propre univers « éroticoculinaire ». La relation entre ces deux mondes pourtant si proches n’est soumise à aucune règle. Les bonnes manières à table n’augurent pas celles du lit et si manger comme un cochon fait le mauvais convive il ne fait pas l’amoureux et une majorité d’adultes reconnaît ne pas pouvoir définir l’érotisme d’un partenaire à sa façon de manger. Toutefois, on devine bien au fond, que l’on ait affaire à un hédoniste ou un parcimonieux quand il s’agit du couvert, à quel genre d’ogre amoureux on se donne quand on décide d’être le dessert.

Mais l’érotisme n’est jamais un terrain neutre et les multiples variations qu’il offre sont une zone d’exploitation si vaste qu’il serait bien triste de rester de l’autre côté de ce potager-ci. Amuse bouche et amuse couche sont les deux facettes de l’ogre qui est en nous, un gourmand, joueur et jouisseur qui ne demande qu’à trouver son ogresse. Certes, rien n’est jamais obligé, ni de sucer, mordre, lécher et avaler, ni d’aimer, ni de reprendre de ce succulent plat, ni de célébrer ce vin pétillant, ni de prodiguer la meilleure caresse… C’est juste, juste… si bon… Seulement une histoire de goût, c’est sûr.

Fannette Duclair

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Commentaires (2)

  • Anonyme

    Merci Fanette pour cet article tout à fait ... délicieux !

  • Charlie SoftParis -Ambassadrice du plaisir

    En temps de fêtes, voir la nourriture autrement que comme un remplissage d’estomac c’est vraiment bien !
    Merci

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