Libido à taux zéro

Le 08/06/2009

En ces temps de récession, dire qu’on n’a plus un sou est presque devenu branché ; mais avouer la mort de sa libido semble toujours aussi impudique et difficile. Or cela arrive, à tous les âges, à toutes sortes de femmes. Pourquoi, comment ? Réponse…

Le patient

Le désir sexuel, cette capacité à envisager de manière positive une activité sexuelle et à déclencher une excitation sexuelle, est mal en point, ou a carrément disparu. Comme il existe plusieurs formes de désir sexuel – désir affectif, de reproduction, « de décharge », c’est à dire d’orgasme et enfin désir sexuel coïtal, centré sur les organes génitaux -, il existe plusieurs conjonctures à sa disparition. Ne plus éprouver de désir pour un partenaire qu’on n’aime plus, ou qui plus est avec lequel on est entré en conflit, est presque logique ; il s’agit avant tout d’un problème relationnel. Après plusieurs mois de célibat inactif, il arrive également que la libido s’assoupisse, mais une nouvelle aventure la réveillera illico. Enfin, dépression, problèmes professionnels, médicaux ou familiaux font aussi le lit de cette inappétence sexuelle. Mais ces circonstances ne sont favorables à la libido de personne. Ce qui nous intéresse, c’est lorsque cette dernière plie bagage au sein d’un couple amoureux, quittant le cortex et les sens d’une femme qui n’avait jusqu’alors aucun « problème sexuel » à déclarer. Et qui va vite ressentir les premiers symptômes.

Les symptômes

La baisse de désir touche tous les paramètres de la sexualité, autoérotisme, imaginaire érotique et toute relation sexuelle quelle qu’elle soit. En clair, l’idée d’avoir un rapport sexuel ne nous vient plus à l’esprit, et lorsque notre partenaire nous rappelle cette possibilité, c’est un peu comme s’il nous conviait à partager une corvée. Pire, nous n’avons plus envie d’avoir envie ! Souvent, l’autoérotisme est à l’unisson. Masturbation au point mort, relation avec son propre corps réduite au minimum (on le lave, on le nourrit, on le couche). En outre selon le Dr Grafeille (médecin sexologue, directrice de l’enseignement universitaire de sexologie à la faculté de Bordeaux), « il est très exceptionnel que cette chute de la libido surgisse d’un coup, dans ce cas c’est un problème organique. Le plus souvent elle est progressive, liée à des difficultés interpersonnelles. Et si on la repère plus chez la femme que chez l’homme, c’est que la sexualité féminine est plus liée à un contexte affectif, émotionnel et relationnel. » Pour le Dr Grafeille, il s’agit de femmes qui ont "désinvesti la sexualité", à des moments différents de leur vie, mais selon le même schéma.

La grossesse

Dès le début de la grossesse, l’activité sexuelle est un sujet sensible, soumise à des variations hormonales, des transformations physiques et psychologiques, voire à un embarras causé par cet intrus invisible. Le Dr Grafeille nous explique qu’au 1er trimestre, les nausées conjuguées à un temps d’adaptation physique et mentale peuvent faire chuter le désir, qui remonte souvent au 2e trimestre, pour redescendre au 3e, lesté par l’embonpoint, la fatigue et les questions que la future maman se pose. Pour celles et ceux qui se demandent d’ailleurs si la poursuite de la sexualité n’est pas contre-indiquée en fin de grossesse et encore plus en cas de grossesse compliquée, des chercheurs viennent de répondre à cette question en étudiant la fréquence des accouchements prématurés dans une population de femmes à haut risque de prématurité. Ils constatent que le nombre de partenaires ou la fréquence des rapports durant toute la grossesse (même à l’approche du terme) n’augmentent en rien le risque d’accouchement prématuré. Quand bien même la libido est cahotée par ces 9 mois particuliers, rien d’alarmant, au contraire, à ce que la sexualité reflète les changements qu’implique une grossesse.

La maternité

La situation mérite d’être prise au sérieux après la naissance de l’enfant. Selon le Dr David Elia, (www.docteurdavidelia.com/ membre de la Société Française de Gynécologie) "la grossesse requiert beaucoup d’énergie, de même que l’accouchement. La libido, énergie sexuelle de vie qui englobe nos désirs, nos envies, nos pulsions, se retrouve donc totalement bouleversée." C’est pourquoi il ne parle jamais d’une baisse de libido, mais plutôt d’un détournement de but de celle-ci. "Quand elle est enceinte, la femme investit l’enfant qu’elle attend, d’une libido narcissique : elle rêve son enfant, idéal, parfait. Il est l’objet de toutes ses projections. Quand il naît, elle a désormais affaire à un être humain distinct. Elle développe alors des liens puissants avec lui. C’est ce que l’on nomme la période de lune de miel avec le bébé, ou en termes plus psychanalytiques, la “folie maternelle”. Sa libido est entièrement captée par son nourrisson, et détournée de son compagnon. C’est une phase normale de l’attachement qui se développe entre la mère et l’enfant. Une maman peut même ressentir des émois érotiques en allaitant son enfant, en le serrant contre elle pour lui donner son biberon, en le touchant, en le caressant... Mais ces ressentis arrivent rarement à sa conscience tant ils sont masqués par le refoulement. Sauf que son corps peut lui, se sentir comblé sexuellement, sa libido ayant investi une autre personne." Ainsi Caroline, 32 ans, qui a donné naissance il y a 6 mois à son 1er enfant, nous confie avoir pour la première fois de sa vie repoussé les ardeurs de son partenaire. "J’ai toujours eu une libido quasiment insatiable, mais depuis que mon bébé est né, je n’ai plus envie", dit-elle en cajolant son nourrisson dont elle dit ne pas pouvoir se séparer, tant leur relation est fusionnelle. Avec le recul, il est évident qu’il n’y a pas de place pour un autre désir.

Prévention et remède

Il faut que la femme le redevienne et cesse - temporairement- d’être mère. "Mais pour retrouver son rôle d’amante, nous explique le Dr Elia, elle doit tout d’abord “endormir” son bébé. C’est à dire qu’elle exerce inconsciemment sa censure d’amante envers son enfant, afin de lui permettre de s’endormir sans se sentir abandonné pour autant, de rester seul sans penser qu’il n’est plus aimé. Le nourrisson amorce alors son tout début de vie psychique autonome, avec ses premières rêveries et ses premières activités auto-érotiques (sucer son pouce...). Mais pour cela, il ne faut pas que sa maman soit là. Et à partir du moment où son enfant peut rester seul, elle pourra, tranquillisée, rejoindre son homme. Cela prend du temps, parfois plusieurs mois, mais se donner du temps est primordial. » Pour le Dr Grafeille, il faut que les deux individus du couple se repositionnent dans un couple amoureux. "L’univers de la femme s’est métamorphosé avec cette naissance : son corps, son psychisme mais aussi ses pôles de préoccupations ne sont plus les mêmes. Il va lui être difficile désormais de se désinvestir de son rôle de mère pour réinvestir le rôle d’amante." C’est donc à l’homme d’aider la femme à reprendre sa place à ses côtés, la ramener dans le chemin du désir, sans la culpabiliser. C’est lui aussi qui peut permettre la coupure du corps à corps entre le bébé et la mère, à condition qu’il ne se place pas "au même niveau que l’enfant, comme cela arrive fréquemment. Certains hommes ont tendance en effet à demander à leur femme de les nourrir (symboliquement bien sûr), comme elle nourrit leur enfant." Cette tendance au "nursing", le Dr Grafeille la note également dans les couples qui ont subi la maladie. "Je vois souvent cela avec des couples dont l’homme a eu un infarctus du myocarde. Tout le monde a eu très peur, la femme a soigné son mari. Le problème est que les deux se sont installés dans cette relation malade-infirmier, et ont du mal à en sortir." Idem lorsque c’est elle qui a été malade : le lien intime, un lien de partage égalitaire, peut se rompre dans ce rapport d’interdépendance. Quant à la légèreté propice aux ébats, elle disparaît quand l’énergie vitale est menacée. "Le réinvestissement est difficile, mais la prise de conscience est souvent suffisante. Je donne à mes patients l’exemple d’un sportif qui a un cancer. Une fois guéri, il se remet au sport. Avec la sexualité, c’est pareil."

La ménopause

L’autre étape qui bouscule la libido. Dans un sens comme dans l’autre : " la chute des hormones féminines est compensée par une augmentation des hormones masculines, donc certaines femmes voient leur libido stimulée." Pour les moins chanceuses, la fuite de la testostérone, l’hormone clef de la libido, s’associe à une sécheresse vaginale, des bouffées de chaleur et une prise de poids, ce qui explique la diminution de l’appétit sexuel. "D’où l’intérêt de la mise sur le marché du patch Intrinsa®, déclare le Dr Elia, indiqué chez les femmes ayant perdu leur libido pour une cause hormonale, après une hystérectomie et/ou ovariectomie. Mais attention, il n’est pas question d’en prescrire à toutes les femmes ayant une faible libido. Car tout d’abord, un excès de testostérone peut induire des effets secondaires : pousse des poils, boutons, peau grasse, chute des cheveux, etc. Ensuite, il n’est pas dit que ce supplément hormonal améliore leur libido : la sexualité féminine n’est pas uniquement une histoire d’hormones." En effet, le facteur psychologique n’est en rien négligeable. "Certaines femmes envisagent la retraite de leur utérus, poursuit le Dr Grafeille, comme la retraite du côté ludique et bienfaiteur de la sexualité, alors qu’il ne s’agit que de l’arrêt de la fonction reproductive." Aline confirme : "A 45 ans, j’ai quitté mon mari pour un autre homme. Au début nous avions une sexualité torride, rien n’arrêtait mon désir. A partir de ma ménopause, la fréquence de nos rapports s’est divisée par 10. Avant, je pouvais faire l’amour avec mes enfants dans la maison. Après, l’idée qu’ils pouvaient nous entendre me bloquait. Je n’avais plus envie, c’est tout. Je voulais m’occuper de ma famille, me poser un peu. J’ai demandé à mon partenaire que nous ayons une relation plus amicale qu’amoureuse. Il m’a quittée." Le cas d’Aline n’est pas rare, mais pas si fréquent, selon le Dr Grafeille qui constate que les séniors font en sorte de maintenir une vie sexuelle active après la retraite et/ou la ménopause. Le désintérêt que certaines femmes éprouvent est le même que celui de la jeune mère : la vie change, il faut se réadapter entièrement, intimement aussi, faire face à de nouvelles perceptions de soi, et de l’autre.

L’après-passion

"A chaque début de relation je ressens un désir très fort pour mon partenaire, puis je bascule dans un inverse effrayant : absence de désir, absence de fantasme, aucune idée de ce qui pourrait me plaire et le sentiment d’avoir déjà tout essayé. Après m’être "forcée" de temps en temps, je suis complètement bloquée et je ne sais plus quoi faire. Je me demande si je suis frigide au bout d’un an de relation, ou si c’est lié à mon partenaire lui-même..." Lila, 22 ans, exprime un sentiment partagé par beaucoup de jeunes femmes, qui finissent souvent par vérifier dans les bras d’un autre qu’elles n’ont pas perdu toute libido. En fait, elles veulent retrouver la fougue qui inaugure les débuts d’une relation. Mais qui est aussi une histoire d’hormones ! De fait, les scientifiques ont montré que l’ocytocine provoque cette addiction physique. Au bout d’environ deux ans, le taux de cette hormone s’épuise et la passion charnelle avec. L’autre ne nous attire plus de la même façon. Nos corps sont habitués l’un à l’autre et l’attraction du début ne fonctionne plus. La sexualité après plusieurs années de relation ne peut pas être celle des premiers mois. Le croire, c’est croire à l’amour éternel et inconditionnel, un mythe infantile. Or la sexualité n’est pas une affaire d’enfant ! C’est un jeu peut-être, mais entre adultes qui se construisent activement un univers fantasmatique, évolutif, loin du reflet narcissique dans lequel on se projette à l’aube d’une relation.

Frigidité, asexualité ?

"Non, répond Nadine Grafeille, je dirais que certaines femmes sont hypofonctionnantes (dont les organes concernés ont une activité moindre, ndlr). Elles ont mis leur libido entre parenthèses, mais fréquemment, elles sont encore dans la séduction. Elles ont renoncé à l’intimité, au lit, mais pas à leur féminité. Parfois elles rouvrent la parenthèse, parfois non. Là où le médecin intervient, c’est quand la femme se soustrait de la sexualité de manière forcée ou si le partenaire en souffre." Aussi, que l’on ait 20 ou 60 ans, un job très prenant ou un bébé insomniaque, que l’on soit follement amoureuse ou en pleine crise de couple, il est normal de voir sa libido varier. A nous d’entretenir sa sexualité comme on soigne un jardin. Une période de jachère peut s’avérer nécessaire, avant de replanter de nouvelles variétés ; on peut même avoir l’idée de remplacer le potager par un parterre de roses, ou pourquoi pas, d’immortelles ?

[gris]Aurélie Galois

[/gris]

Commentaires (2)

  • Agnès007

    Les propos de ce Dr me rappellent ceux de Aldo Naouri sur le rôle de l’homme dans la famille, qui en gros aide la mère a couper le cordon ombilical avec son enfant. Controversé mais passionnant.

  • LSWbpELQKwpGOGMPqGZ

    Bonjour,merci pour cet article ceplmot sur un sujet m’inte9ressant.je suis bibliothe9caire et me demande quel sera l’avenir de ma profession. Dans l’absolu, si tout le monde est e9quipe9 d’un lecteur hybride (type ipad, beaucoup plus apte e0 toucher le grand public que les liseuses je pense) et que tous les e-books sont accessibles gratuitement (finance9 par la pub ou inclus dans le forfait/abonnement aux services du lecteur), qu’en sera t’il des bibliothe8ques ?Pour l’instant, les bibliothe8ques (universitaires/recherche) sont indispensables pour qui veut consulter des articles scientifiques (via des bouquets). Qu’on les consulte sur place ou e0 distance via son nume9ro d’inscrit e0 la bibliothe8que.Pour qui veut emprunter ou consulter des livres gratuitement, c’est la meame chose.A l’avenir, j’imagine que les BU de9velopperont leur offre d’e-books (de9je0 existante).Certes, j’imagine mal des encyclope9dies ou des articles scientifiques encombre9s de publicite9, mais pour les livres en tant que tel, je reste dubitatif, voire craintif.Le rf4le du bibliothe9caire serait (et est) celui de formateur e0 la recherche documentaire, e0 l’analyse des sources. Mais il serait impossible de reconvertir les milliers de bibliothe9caires frane7ais dans le domaine professionnel de la prescription.Alors, quel futur ?