Le Manoir, conte de fée pour adultes I

Le 25/08/2010

Prologue



Les pompiers arrivèrent cinq minutes après la déflagration pour ne trouver qu’un tas de gravats incandescent. Encore des vieux qui avaient oublié de couper le gaz. Personne ne pouvait avoir survécu là-dessous. Ils éteignirent le brasier, puis promenèrent un chien parmi les décombres encore fumantes. Il y découvrit deux corps carbonisés et écrasés sous un tas de morceaux de plâtre et de bois. L’un deux tenait une photographie à la main, et celle-ci, de manière inexplicable, était presque intacte. Des doigts maigres et noircis s’étaient refermés sur elle. Dehors, le souffle de l’explosion avait déraciné un petit arbre. Une jeune femme qui débutait comme pompier volontaire remarqua une boîte en métal à moitié découverte près des racines arrachées. Elle souleva la visière de son casque et l’ouvrit. La boîte contenait un petit carnet. Elle le feuilleta. Une belle écriture, élégante. Le texte était daté de la veille : il avait été écrit d’une seule traite. La main fatiguait sur la fin.

****

25 Juin 2051.

Je réalise que je suis vieille maintenant que l’homme que j’aimais est mort. Avant, nous étions jeunes. Le temps n’avait pas osé se poser sur nous. Puis un matin, je me suis réveillée avec un vieillard froid et inerte à mes côtés, et j’ai compris que le temps avait d’un seul coup rattrapé tout son retard. J’ai rangé ses affaires dans des cartons : ses bibelots, ses livres, ses tableaux… et des déménageurs ont tout emporté dans la pièce du bas. Les murs de la maison s’écartent, je deviens de plus en plus petite dans cette boîte vide. Je n’ai gardé que la photo qu’il avait prise de moi autrefois, alors que je le regardais avec un petit air espiègle, assise les mains sur les genoux sur ce joli fauteuil en chintz.

J’ai eu somme toute une vie assez ordinaire, aussi je ne m’étendrai pas à décrire par le menu les quatre-vingts-ans de cette existence. Cela n’aurait aucun intérêt. Cependant, en faisant le tour de mes souvenirs, je dirais qu’il y a une période que j’ai vécue le plus intensément, où j’ai fait les rencontres les plus extraordinaires, des expériences hors du commun. C’est cela que je voudrais raconter, avant que les lumières ne s’éteignent.


Réception


J’avais juste 30 ans et je venais d’emménager dans ce petit village où j’avais acheté une vieille maison que je comptais retaper, ce qui me paraissait un bon moyen d’occuper mes week-ends solitaires et de ménager mes économies. J’avais un petit bout de jardin en friche pour lequel j’avais de grands projets, mais qui demeurait envahi d’orties en attendant que je passe à l’action. Au bout de ma rue, j’avais remarqué une étrange bâtisse, une espèce de manoir en briques avec un toit à quatre pentes et d’immenses fenêtres aux volets blancs. Le parc attenant semblait entretenu avec soin, pas comme mon jardinet, pourtant je n’avais jamais vu âme qui vive entrer ou sortir de cette maison.

Lorsque j’eus fini de déballer mes cartons, je décidai de faire un tour dans ma rue et de nouer connaissance avec mes voisins, car j’imaginais qu’il me serait plus facile ainsi de me faire accepter dans cette petite communauté. Après avoir bu quelques cafés et mangé quelques biscuits secs auprès des divers pépés et mémés qui m’entouraient (toute la rue semblait peuplée de retraités), il ne me resta plus que la grande maison. L’aspect imposant du manoir m’intimidait un peu mais je décidai de m’armer de courage, et je m’approchai du portail. Celui-ci était ouvert, je m’engageai dans une allée de graviers bordée de peupliers, montai les quatre marches du perron et frappai à la porte. Celle-ci s’ouvrit presque dans la seconde, ce qui me surprit beaucoup. Un homme d’une quarantaine d’années, souriant et extraordinairement beau, cheveux bruns et bouclés et yeux bleu glacier, m’accueillit :

— Bonjour, vous êtes donc notre nouvelle voisine ? Entrez, je vais vous présenter la propriétaire des lieux.

Ainsi, je n’avais pas eu le temps de dire un mot que j’étais entrée, installée dans un des fauteuils douillets d’un salon cosy, avec une tasse de thé fumant sur un guéridon, attendant de faire connaissance avec la maîtresse des lieux. J’eus le temps de boire mon thé, puis celle-ci arriva enfin : une femme de soixante ans environ, longue et mince mais un peu voûtée, avec une cascade de cheveux gris tombant sur ses épaules, des traits parfaitement réguliers marqués par de fines rides au coin des yeux et un sourire énigmatique. Elle portait un joli foulard en soie rouge autour du cou. Elle me parut instantanément sympathique et digne de confiance.

— Comme je suis contente de vous rencontrer enfin !, dit-elle d’une voix grave et légèrement voilée. J’avais vu arriver votre camion de déménagement et je me disais qu’il ne nous ferait pas de mal d’avoir un peu de sang neuf dans le quartier. Comment vous appelez-vous, chère voisine ?

— Elise, lui dis-je. Merci pour votre accueil, votre maison est vraiment magnifique.

— Vous trouvez ? C’est gentil. Je suis Sonia.

— Excusez ma curiosité, mais vous vivez seule ici ? C’est tellement immense !

— Seule ? Mon Dieu, non, d’ailleurs vous avez rencontré l’un de mes amis, Vim. Lui et quelques autres messieurs viennent de temps à autres me tenir compagnie.

Je m’étonnai intérieurement de savoir cette femme âgée et distinguée avoir comme invités réguliers plusieurs hommes plus jeunes qu’elle, mais n’en dis rien. Elle lut malgré tout la surprise sur mon visage.

— Vous comprendrez bientôt. Nous ne nous connaissons pas encore, voyez-vous ! Vous m’êtes néanmoins sympathique, verriez-vous un problème à ce que je vous dise que vous êtes la bienvenue ici, à toute heure, et que vous pouvez aller où bon vous semble et faire ce que bon vous semble ?

— Pardon ? Je… Je ne sais pas… C’est chez vous tout de même, je ne peux pas…

J’étais interloquée. Que voulait-elle dire, et pourquoi m’ouvrait-elle ainsi ses portes alors que je n’avais prononcé que quelques mots ? La proposition était étrange, mais cette femme m’inspirait tant confiance que je décidai d’accepter. Après un silence, je lui dis :

— Je vous remercie. Je viendrai vous voir aussi souvent que je pourrai.

— Oh, mais, mon enfant, vous verrez, bientôt ce n’est plus pour moi que vous viendrez. La porte sera toujours ouverte pour vous, je vous demanderai d’entrer et de faire comme chez vous, même si je ne suis pas là. Bien, maintenant je suis au regret de vous dire que j’ai à faire, mais il y a une petite réception dans le salon d’à côté, vous me feriez très plaisir si vous acceptiez de vous y rendre. Vous ne le regretterez pas, je vous le promets.

— Une réception ? Mais il faut que je retourne chez moi pour me changer, je ne peux pas y aller avec ce vieux tee-shirt, ce jean et ces tennis…

— Ne vous en faites pas, vous voyez cette porte là-bas ? Elle donne sur un dressing qui est, ma foi, assez bien garni. Vous trouverez ce qu’il vous faut. Changez-vous à votre guise et profitez de la journée !

Après cette pirouette, elle prit congé. La raison aurait voulu que je m’en aille, mais je me sentis une âme d’aventurière et me dis que je n’avais pas grand-chose à perdre, aussi j’entrai dans le dressing pour me choisir une tenue de circonstance. D’ordinaire, j’enfile à la va-vite un jean et un pull, et j’ai rarement plus sexy sous la main. Je n’ai pas l’habitude des robes courtes ou moulantes, ni des décolletés vertigineux. Là, rangées sur des cintres, je ne vis que cela : des robes cocktail en soie démesurément échancrées dans le dos, ou des mousselines vaporeuses que je jugeais infiniment trop courtes. Une douce odeur d’encens baignait la pièce et, peu à peu, presque malgré moi, je sentis ma pudeur fondre et ces tenues devenir de plus en plus excitantes. Je finis par choisir une robe en soie sauvage couleur crème à fines bretelles, avec une profonde échancrure en V dans le dos et cintrée à la taille, coupée juste au dessus du genou et largement fendue sur le côté. Je l’assortis de bas couleur chair ajustés sur un porte-jarretelle, chose que je n’avais jamais mise de ma vie, et trouvai des escarpins élégants et relativement confortables. Tout m’allait à la perfection. D’une espèce de garçon manqué, j’étais devenue une vraie séductrice.

Une fois la métamorphose achevée, j’allai dans le salon où se déroulait la réception. Lorsque je franchis la porte, je fus reçue par une assemblée d’hommes, détendus et souriants, qui m’accueillirent avec le plus grand naturel, comme s’ils me connaissaient depuis toujours. Là encore, l’atmosphère gaie et festive m’incita à rester, malgré le côté étrange de la situation. Dans le groupe d’hommes (ils étaient une vingtaine), je reconnus Vim, celui qui m’avait accueillie à la porte du manoir. Immédiatement, il arriva avec un verre de martini-vodka à la main.

— Je vois que Sonia vous a bien conseillée, nous sommes ravis de vous voir. Vous êtes très belle.

— Merci. J’avoue que je suis un peu surprise de me trouver ici. Que fêtez-vous donc ?

— Mais… Votre venue.

— Moi ? Mais pourquoi… On ne se connaît pas, je ne suis jamais venue…

— Disons que nous allons apprendre à nous connaître, alors. Vous voyez, il n’y a qu’une règle ici : faites ce que bon vous semble, avec qui vous voulez. Tout ce qui se passera ici, et dans cette maison en général, ne sera connu que de vous et nous, et ne sortira jamais d’ici.

— Que voulez-vous dire, qu’est-ce que vous entendez par « ce que je veux avec qui je veux » ? Qu’est-ce que je suis censée faire ?

— Rien de particulier, hormis de satisfaire vos désirs. Vous voyez ces hommes ? Comment les trouvez-vous ?

— Ils sont tous très beaux. Je les trouve… attirants…

Les mots sortaient de ma bouche alors même qu’une alarme intérieure me commandait de me taire, mais son cri se perdait dans un brouillard ouaté. Pourtant, je ne m’étais jamais sentie aussi lucide. J’étais, en effet la seule femme au milieu d’un groupe d’hommes extrêmement beaux, dont chacun semblait plein d’égards pour moi sans jamais se montrer insistant. Il semblait que c’était à moi de décider, en tous cas c’est ce que confirma Vim dans un sourire.

— Eh bien, vois-tu Elise, nous te trouvons aussi belle et attirante. Viens donc parmi nous, chante, danse et embrasse qui tu veux !

Le martini-vodka faisait son effet, j’étais juste assez gaie pour me sentir parfaitement à l’aise, et je passais quelque temps à discuter, comme avec de vieux amis, avec quelques-uns de mes compagnons. Tout ce temps, cependant, les phrases de Vim tournaient dans ma tête et m’enivraient bien plus que l’alcool, à tel point que je rêvais presque éveillée et que des pensées de plus en plus indécentes se faisaient jour dans mon esprit. Je décidai de suivre le règlement. J’étais encore un peu intimidée cependant et, était-ce parce que je le connaissais un peu mieux que les autres, ou parce qu’il était d’une beauté saisissante, mais c’était Vim qui m’attirait le plus. Je m’approchai de lui. Il me sourit, glissa une main autour de ma taille et m’embrassa.

— Enfin, dit-il. Viens.

Il m’amena vers une porte dissimulée dans une tapisserie murale, qui donnait sur une pièce sombre où je distinguais des tapis et des tentures, des coussins et des matelas. Il referma la porte sur nous et m’entraîna au milieu de la pièce. Je le voyais à peine, mais je sentis ses mains remonter doucement la soie fine de ma robe et découvrir mes cuisses pendant que sa bouche descendait dans mon cou. Je défis doucement les boutons de sa chemise et mes mains parcoururent son torse, j’ai toujours aimé faire cela, et sentir le cœur d’un homme battre sous mes doigts. Vim me plaqua contre lui tout en m’embrassant, je sentis que son désir s’était éveillé et je savais que le mien montait aussi comme une marée d’équinoxe. On s’était peu à peu déplacés en se déshabillant et bientôt je me retrouvai dos au mur avec pour seuls vêtements mes bas, mon porte-jarretelle et mes escarpins. Vim était entièrement nu, je voyais son sourire dans la pénombre et ses yeux mi-clos alors que je caressais son sexe dressé et que ses doigts se glissaient dans mon entrejambe, allant et venant de plus en plus fort, de plus en plus loin. Le plaisir grondait en moi comme un soir d’orage, Vim le sentit et sa bouche descendit, de mon cou à mes seins puis mon ventre et sa langue enfin vint me caresser douce et chaude exactement là où je le voulais, là où je l’attendais, je promenais mes mains dans ses cheveux, non, je m’agrippais à lui de toutes mes forces alors qu’il m’emmenait loin, si loin que ce vent d’orage me dévastait à présent, renversant toutes les barrières. Au bout d’un moment je lui lançai dans un soupir un « prends-moi maintenant, Vim ! » impérieux et que je n’aurais jamais cru pouvoir sortir de ma bouche. Alors il se redressa, me plaqua contre le mur en me soulevant et me pénétra, il me regarda droit dans les yeux alors que son sexe s’enfonçait en moi, comme pour me dire « tu l’as voulu » et oui, c’était exactement ce que je voulais, qu’il me prenne, qu’il me crucifie. Ses va-et-vient se firent de plus en plus profonds, je sentais son sexe m’envahir toujours plus loin, et il m’arrachait des cris à chaque fois que son bassin venait s’écraser contre le mien. Il me fit l’amour ainsi jusqu’à ce que l’orage éclate enfin dans un hurlement de tonnerre, et que le plaisir nous emporte tous les deux comme un torrent en furie, et nous laisse pantelants, épuisés et en sueur. Après un temps de repos il m’embrassa doucement, nous nous rhabillâmes et retournâmes à la réception. Nos compagnons nous accueillirent avec un petit sourire bienveillant. Vim se pencha vers moi :

— Ils savent tout. Ne t’inquiète pas. D’ailleurs tu aurais pu choisir n’importe lequel d’entre eux. Tu as aimé ?

— Vim, je ne parle jamais comme ça d’habitude mais voilà : tu baises comme un dieu.

— Ravi que Madame soit satisfaite. Mais ne t’arrête pas à moi, ni à cette expérience, il y a tellement de choses à faire ici, tu verras. Tu reviendras ?

— Oui, je crois que je reviendrai.

Je pris congé de mes étranges compagnons, retournai dans le dressing troquer la petite robe froissée contre mon jean et mon tee-shirt de célibataire, puis je sortis du manoir sans rencontrer personne. En rentrant chez moi, j’avais encore sur mes lèvres le goût de celles de Vim, et je me dis qu’il était décidément important de faire connaissance avec ses voisins.

[gris]Fairy Tale[/gris]

© Christoph Hähnel - Fotolia

Commentaires (4)

  • Chacha

    Etrange au début, on se demande bien où va nous mener les aventures de la demoiselle. Toujours plus loin ? Toujours plus fort ?

  • fairy tale

    Oui disons de découverte en découverte...
    FT

  • Femininsacre

    Écrit par un homme ou une femme ?

  • MichelAime

    Très original comme histoire et bien écrit. Bravo !