Anonyme : La femme flagellée

Le 12/04/2009

Le lendemain, il se leva éreinté, la tête vide. Liliane était déjà réveillée et se promenait dans la chambre. En le voyant ouvrir les yeux et bouger, elle vint auprès de lui et l’embrassa : — Denise va t’apporter le petit déjeuner.

Elle sonna et la vieille négresse arriva avec un plateau sur lequel se trouvaient un pot de café au lait, des tartines beurrées, de la confiture. La femme de couleur déposa le plateau et partit sans ouvrir la bouche, enfermée dans son silence morose. Liliane offrit à Pierre une tasse bouillante de café au lait. Mille questions le tourmentaient, toutes dérivées de la même découverte nocturne : « Qui a été le premier amant de ma femme ? » Il se sentait humilié, mais il se tut. Pierre était un garçon qui réfléchissait avant d’agir. Il se sentait incapable d’un éclat spontané, soudain. Il devait épuiser toute question par la pensée avant de la résoudre par des actes. Même ses colères étaient méditées. Ils devaient prendre le soir même le train pour X... où ils devaient passer leur lune de miel. L’après-midi, il était néanmoins obligé de passer à l’Institut Ethnographique pour avertir le directeur, qui venait de rentrer la veille, de son départ. Pierre décida de ne rien changer à ses décisions, malgré le trouble que lui causait la découverte que sa femme avait eu un amant avant lui. Liliane s’affairait autour de lui en lui demandant s’il avait bien dormi, s’il avait fait de beaux rêves, en lui parlant du temps qu’il faisait, et de tout ce qu’ils devaient emporter dans leurs valises. Elle n’avait même pas l’air de se douter qu’il était préoccupé par d’autres questions. Bon gré, mal gré, il joua le jeu, faisant semblant de s’intéresser aux sujets qu’elle lui proposait. Ils déjeunèrent, puis il alla à l’Institut Ethnographique. Lorsqu’il quitta le directeur, il erra longtemps dans les rues de Port-au-Prince. Il se sentait triste et abattu. Il était déçu, mais il se rendait compte qu’il aimait Liliane. Il faisait très chaud et il eut soif. Au coin de la rue, près de chez lui, il pénétra dans un bistrot, qui avait en guise de porte une draperie de colliers de perles multicolores, s’attabla et commanda un demi de bière. De sa place, il pouvait voir les quelques tables installées dehors, sur le trottoir, et un coin de la place.

Soudain il tressaillit, car il vit Liliane arriver lentement, en balançant ses hanches. Elle portait une simple robe fleurie qu’elle devait mettre pour le voyage, avec un décolleté qui découvrait ses épaules, et une jupe large tourbillonnant autour de ses jambes. Pierre eut l’impression de l’avoir déjà vue avec cette robe, mais pour la première fois, il la trouva provocante. Peut-être la révélation qu’il avait eue d’elle, la nuit passée, transformait-elle ses rapports avec les choses qui appartenaient à Liliane, offrait à tout ce qu’elle touchait une nouvelle signification. Il se leva de sa place et s’approcha de la draperie de perles derrière laquelle il l’observa. Il voulait la surprendre au moment où elle vivait sans se savoir regardée, la détailler, la comprendre. Une femme blonde qui avait l’allure d’une Anglaise arriva dans le sens contraire. Liliane la salua et l’autre répondit. Toutes les deux s’arrêtèrent pour s’entretenir au milieu de la place. — Elle est bien jolie, la brune ! lança d’une voix puissante quelqu’un qui se trouvait attablé à la terrasse.

Pierre sursauta, furieux, et dévisagea l’homme qui avait interpellé sa femme. C’était un Blanc taillé en armoire à glace, au visage mâle découpé de quelques rides bien placées, la lèvre supérieure ornée d’une petite moustache conquérante. Il ressemblait vaguement à l’acteur de cinéma américain Clark Gable. Pierre trouva ce fier-à-bras antipathique au possible. Liliane, ayant entendu le compliment, se retourna et détailla l’individu qui l’avait lancé. Puis elle sourit et répondit à haute voix : — Vous n’êtes pas mal non plus ! Les compagnons du moustachu et la blonde qui s’entretenait avec Liliane rirent, satisfaits. Celui qui ressemblait à Clark Gable, encouragé par cette réplique, s’écria : — Je crois que nous ferions un beau couple, tous les deux ! Liliane eut un sourire canaille : — Il faudrait d’abord que nous nous connaissions mieux ! Tandis que les spectateurs riaient, Liliane se retourna vers la femme blonde et reprit leur conversation. Le moustachu lança alors à la belle mulâtresse : — Venez, Mademoiselle, prenez un verre avec mes amis et moi. Je suis certain que nous finirons par nous plaire beaucoup, tous les deux ! Cette fois, la jeune femme ne répondit pas. Elle finit son entretien avec la blonde, puis toutes deux se serrèrent la main avant de se séparer. Liliane reste seule sur la place, le dos tourné vers le café. Elle hésita une seconde, puis se retourna en souriant vers les hommes attablés. Ensuite, d’un pas nonchalant, elle avança vers eux. Les consommateurs se turent et dévisagèrent la belle inconnue. Les yeux de la femme se fixèrent sur l’individu qui l’avait interpellée : il portait une chemise à carreaux, ouverte sur sa poitrine velue. Elle l’étudia en silence, puis étendit sa main, et s’oubliant, elle caressa la toison qui couvrait les muscles bronzés de son interlocuteur. Il bomba le torse et sourit. — Que vous avez l’air fort, murmura-t-elle. Pierre eut comme un vertige, humilié au plus profond de son être, et fit un pas en avant. Le rideau de perles tinta avec un bruit cristallin. Il se découvrit sur le seuil, aveuglé par le soleil de l’après-midi. Il sentit sur lui le regard étonné de Liliane. Il resta silencieux, attendant la suite des événements. — Je m’excuse, lança-t-elle à l’homme qui ressemblait à Clark Gable. Puis elle se retourna et partit lentement, en balançant ses hanches. — Monsieur, votre consommation ! cria le garçon à Pierre.

Il revint sur ses pas et déposa une pièce sur la table. Puis il quitta le café. Il n’entendit pas ce que disaient les gens à la terrasse, il voyait la silhouette de Liliane s’éloigner vers la maison. Il la suivit d’un pas triste, abattu. Il se sentait bafoué, mais il ignorait quelle contenance prendre, il ne savait pas s’il devait se mettre en colère ou s’enfermer dans un silence méprisant. Il arriva devant la vieille demeure et trouva le portail métallique ouvert. Là-haut, dans sa chambre, Liliane était assise devant son grand miroir et brossait calmement sa chevelure déployée. Elle paraissait grave et digne, comme le jour où il l’avait rencontrée. La rage le submergea, terrible, incontrôlable. Il lui saisit le bras et l’obligea à se relever : — Tu n’as pas honte, garce ! lui cria-t-il. Liliane le dévisagea, calme. — Tu réponds à tous les hommes qui t’interpellent, maintenant !... Les yeux de la femme se plissèrent, et elle lui répondit dans un sifflement : — Ce n’est tout de même pas ma faute si tu ne peux pas me satisfaire ! Cette phrase l’atteignit comme une gifle : — Putain ! Elle s’arracha à son étreinte : — Laisse-moi, va-t-en ! Il resta pantois. — Comment ? Il comprit qu’elle ne voulait plus de lui, qu’elle le chassait de sa maison. À ce moment il se rendit compte combien il tenait à cette femme, combien il avait besoin de la voir, de respirer son parfum, de la sentir vivre et s’affairer autour de lui. Il s’était considéré comme frustré pour ne pas l’avoir déflorée, alors qu’elle lui avait fait la grâce de se donner à lui, d’être son épouse. Il fit un pas en avant et lui serra le bras : — Laisse-moi ! s’écria-t-elle. Il l’attira vers lui, et sans se rendre compte exactement de ce qu’il faisait, il l’embrassa, tandis que ses mains excitées palpaient les formes dures et douces. Elle s’arracha à son étreinte et le repoussa : — Va t’en, va t’en... Tu me dégoûtes ! Il se sentait ivre de désir et de honte. — J’ai envie de toi, siffla-t-il. Je veux faire l’amour avec toi ! — Jamais ! — Mais tu es ma femme devant Dieu et les hommes, grinça-t-il, aveuglé par la rage. Il la rattrapa par le bras, et serrant le bord du décolleté, le tira avec force. La robe se déchira avec un bruit de tissu fin comme une plainte, dévoilant le soutien-gorge. Liliane resta pétrifiée, tandis qu’il le lui arrachait. Il eut l’impression qu’elle allait encore lui résister, et alors, plein de colère, il lui lança une gifle retentissante : — Tu as été à un autre, et tu ne veux pas être à moi !

Les larmes commencèrent à ruisseler sur le visage de Liliane, qui sembla soudain métamorphosé, rayonnant d’une beauté inconnue : — C’est ça, mon chéri, bats-moi... Frappe-moi... Son visage lubrique augmenta l’excitation de Pierre qui, encouragé par sa femme, lui lança encore deux gifles. L’allure même de Liliane, avec sa robe déchirée qui pendait à ses pieds, avec ses seins dénudés et ses yeux rouges, était splendidement sensuelle. Elle tressaillit à peine sous les claques violentes, comme si elle avait été déçue de leur faiblesse. Furieux de se voir de nouveau méprisé, il la saisit par les cheveux, et la fit rouler sur le lit. Elle tomba avec un cri, les fesses en l’air. Il se pencha sur elle et commença à lui cogner le postérieur avec le poing. Elle se mit à gémir et à ahaner, comme s’il lui faisait l’amour. L’image des fesses tendres qu’il tapait sans arrêt l’excita encore plus fortement, mais il avait à peine le temps de se repaître de cette vue, car sa victime se tordait en gémissant : — Frappe-moi, mon chéri... C’est bien ! Comme ça tu me prouveras que tu es un homme !... Ô, que tu me rends heureuse ! Il avisa alors sur le mur la cravache de Liliane. Il l’arracha de la patère et tapa avec violence sur sa femme. Elle bondit sous le coup, avec un râle : — Mon chéri, mon chéri !... Ce que c’est bon ! En tapant, il eut la pensée saugrenue de se demander si Liliane ne faisait pas du cheval seulement parce qu’elle aimait la cravache. Ses coups traçaient des lignes bleues sur les rebondissements de la mulâtresse. Elle se secouait, poussant de courts cris de douleur et de volupté. Il était écœuré au fond de lui-même, mais il sentait qu’en suppliciant sa femme, il ne faisait qu’obéir au désir le plus secret de sa victime. Cette pensée modéra son ardeur, mais Liliane grinça des dents et lui siffla : — Frappe-moi plus fort, nigaud !... Montre-moi que tu es un homme si tu ne veux pas que je te trompe ! Il imagina Liliane dans les bras d’un autre homme ou se débattant sous la férule d’un étranger. Cette vision le fit blêmir de rage. Il recommença à taper sur sa femme avec une nouvelle vigueur. — Mon amour, ce que tu es brutal, lui cria-t-elle. Tu vas me faire jouir, maintenant je le sens !... Tu vas me faire jouir !... Il se demandait si d’autres hommes l’avaient déjà battue. Cette femme était pour lui un mystère, une redoutable énigme. Il ne cognait que sur le derrière de Liliane, craignant de monter plus haut, sur le dos immaculé. Il lui suffisait de noircir les fesses splendides de la mulâtresse, et il ne cherchait pas à étendre les ravages de sa cruauté. — Je sens que tu vas me donner un grand plaisir, chéri ! lui cria-t-elle. Frappe-moi plus haut, sur les reins et sur le dos ! Mon amour... comme ça... Tu sais très bien que la douleur est proche de la volupté !... Les paroles entrecoupées de râles et de sanglots érotiques qu’elle prononçait étaient autant d’aveux. Il lui obéit et commença à marquer de la cravache le dos de sa femme. Soudain, elle se retourna et se présenta à lui, de face. Elle haletait, proche du grand spasme. — Je vais jouir, mon chéri !... Mais tape-moi sur les cuisses et sur le sexe !... Ne crains rien, imbécile ! Frappe-moi, si tu veux que je décharge ! Crétin, imbécile !... Saloperie !... Cogne-moi ! Les insultes de la femme atteignirent leur but, car, rendu furieux, il se mit à la cravacher sur les jambes, et sur le pubis. Les injures ont un grand pouvoir érotique, car elles donnent l’impression à l’homme qui en fait l’objet d’être subi et de violer sa compagne : l’amour se place alors sous une inédite lumière et se renouvelle. Liliane comprit la puissance de ses insultes et s’en servit à sa guise pour augmenter ses supplices au moment le plus excitant. L’image de bourreau qu’il lui présentait agissait aussi sur les sens de la victime. Elle ahana et puis poussa un cri de libération : — Je jouis, mon amour, je jouis !... Les mains de la femme saisirent la couverture du lit, tandis qu’elle se tordait sous la vague de plaisir qui la submergeait. Puis elle resta inerte. Pierre se jeta sur sa victime, la prit normalement, et connut à son tour la volupté dernière.

Anonyme

Extrait de "Confessions d’une perverse, ou manuel complet de la luxure", publié aux Editions La Musardine