La chimie de l’amour

Le 08/10/2010

L’amour n’est plus ce qu’il était ! Dans le temps, la rencontre amoureuse était à la fois mystérieuse et magique. Sacrée, même. C’était l’époque des philtres d’amour, des flèches de Cupidon, des coups du destin. Athée ou mystique, l’homme nimbait l’amour d’une aura énigmatique. Battu en brèche par Freud et ses disciples, le mystère amoureux avait déjà reculé. Mais voici que les sciences cognitives se penchent à leur tour sur nos états d’âme et que nous entendons parler hormones, phéromones et compatibilité biologique !
Aussi la plainte n’en finit-elle pas d’enfler contre ces chercheurs dont les travaux tueraient la magie de l’amour. N’y aurait-il pas là un soupçon d’obscurantisme ? Le recul du mystère signe-t-il nécessairement la fin de la poésie ?
Bien sûr, personne n’a envie de voir son histoire d’amour restreinte à un complexe d’Œdipe mal résolu ou à un emballement précipité de son hypotalamus. Mais est-il vraiment question de ça ?
En réalité, l’amoureux, le poète et le chercheur œuvrent à des niveaux différents. Le premier vit l’amour et le deuxième le chante, tandis que le troisième jette un œil en coulisse. On pourrait donc considérer qu’en explicitant certains des mécanismes de l’état amoureux, les chercheurs, loin d’en dissiper la beauté, lui confèrent une caution scientifique. Car les études menées ces dernières années démontrent ce dont les amants heureux ont toujours eu l’intuition : le sexe est bon pour le moral et pour notre santé. Voyage au cœur de notre cerveau sexuel.

Plaisir sexuel et circuits de récompense

Phèdre, l’héroïne de la célèbre pièce de Racine, n’est pas une belle-mère convenable. Rêver nuit et jour de son propre beau-fils, vraiment, ça ne se fait pas. Phèdre est-elle pour autant un monstre ? A-t-elle raison de s’affliger comme elle le fait ? Pas forcément, à en croire les mots que lui prête Racine pour décrire sa rencontre avec Hippolyte : « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue / Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue / Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler / Je sentis tout mon corps, et transir et brûler ». Bouffées de chaleur, paralysie, accélération du pouls et de la circulation sanguine… à l’évidence, Phèdre ne tourne plus rond ! En réalité, depuis qu’elle a rencontré son beau-fils, Phèdre est submergée par la dopamine. Explications ?
La survie des espèces est facilitée par un processus que les scientifiques appellent les « circuits de récompense ». La satisfaction d’un besoin utile à l’individu est accompagnée et renforcée de sensations agréables. Le plaisir succède donc au désir. Plus fort est le besoin et plus l’individu trouvera de plaisir à le satisfaire : un verre d’eau n’est jamais aussi agréable à boire que lorsqu’on a vraiment soif.
Le plaisir attendu d’un acte est donc évalué par le cerveau. En réponse à cette évaluation, le cerveau commande la libération de la dopamine, ce neurotransmetteur qui est le principal responsable de notre motivation, autrement dit de notre désir, celui-là même qui bouleverse l’âme de notre héroïne tragique.
Mais quel est donc ce besoin vital qui perturbe à ce point la pauvre Phèdre ? Bien sûr, les scientifiques font observer que le sexe, en ce qu’il permet la reproduction, est un acte nécessaire à la survie de l’espèce. L’intervention de la dopamine dans la montée du désir sexuel aurait donc pour but principal la procréation. Cela ne signifie pas que Phèdre veuille à tout prix un enfant. En revanche, dès lors que son désir est activé, celui-ci s’emballe selon un processus qui lui échappe et dont la finalité reste la reproduction de l’espèce.

Drogue, sexe et rock’n roll

Au-delà de cette première motivation, il est probable que ce que Phèdre désire avant tout, c’est Hippolyte lui-même. Le sexe est, en tant que tel, une source de satisfaction. Le mérite en revient notamment aux endorphines, ces neurotransmetteurs qui, comme leur nom l’indique, agissent comme une morphine endogène, une morphine « faite maison ». La libération de cette molécule apporte à l’individu un bien-être considérable. C’est le « bain de plaisir » qui accompagne l’acte sexuel, celui qui nous fait grimper aux rideaux.
Voilà comment le sexe fait de nous des « imbéciles heureux » ! La dopamine aiguillonne notre désir, tandis que les endorphines font office de récompense…
Dopamine, morphine, circuits de récompense ? Un champ lexical qui n’est pas sans rappeler celui des drogues… C’est d’ailleurs un fait scientifiquement établi : les drogues que l’on consomme au XXIème siècle sollicitent les mêmes circuits cérébraux que ceux qui sont mis en jeu dans la passion amoureuse.
Mêmes causes, mêmes effets ? Comme les toxicomanes, les amants sont, aux débuts de leur passion, sous l’emprise de la dépendance et de l’obsession. Tiraillés par le désir, ils n’ont de cesse que de voir l’être aimé. Retrouver son odeur, la texture de sa peau. Connaître encore au creux de ses bras le plus complet nirvana. Que l’on soit d’un tempérament excessif ou mesuré n’y change rien : sous l’effet de la dopamine et des endorphines, on a besoin de l’autre et on ne pense pratiquement qu’à lui. Les artistes rock, qui, selon la légende, s’y connaissent aussi bien en sexe qu’en drogues, n’ont d’ailleurs pas manqué de souligner la dépendance que crée l’amour. « All day, and all of the niiight » exigeaient les Kinks en 65… « Love is the drug » leur répondait dix ans plus tard Roxy Music.
Du « tu me manques » au « je suis en manque », il n’y aurait donc qu’un pas. Mais le parallèle peut être poussé plus loin. On sait que la prise répétée de drogue conduit à émousser l’effet du produit stupéfiant. Au fil du temps, les récepteurs d’endorphines arrivent comme à saturation. Une forme de tolérance s’installe. Il en va malheureusement un peu de même pour les couples… car la libération de dopamines et d’endorphines résulte pour une grande partie de la nouveauté d’une situation. Le nouveau partenaire ne peut demeurer nouveau éternellement. Peu à peu, les émissions de dopamine s’amoindrissent, les récepteurs d’endorphines se désensibilisent. Ce mécanisme de saturation explique la durée nécessairement limitée de l’amour-passion.
Ce mécanisme de saturation explique la durée limitée de l’amour-passion. Durée que les scientifiques estiment environ à trois ans, un constat repris par Frédéric Beigbeder.
Le romancier a-t-il pour autant raison d’affirmer que L’amour dure trois ans ? Pas tout à fait. Nombre de couples parviennent à se maintenir bien au-delà de ce cap, et pas nécessairement au prix d’un sacrifice total de leur vie sexuelle et amoureuse. Comme le souligne Lucy Vincent, ancien chercheur au CNRS et docteur en neurosciences, « les histoires d’amour ne finissent pas forcément mal, elles finissent en débouchant sur une autre forme d’amour, qui sera celle de la durée ». Bien sûr on peut compter sur les liens tissés entre deux êtres, sans parler des émotions agréables et plus paisibles qui émergent au fil de leur histoire. Mais il ne faut pas non plus négliger l’ocytocine, cette hormone tout à fait sympathique à laquelle Lucy Vincent a consacré de nombreux travaux.

L’ocytocine

L’ocytocine a longtemps été appelée « l’hormone de la maternité ». Elle provoque les contractions de l’utérus au moment de l’accouchement et déclenche l’éjection du lait lors de la tétée. Mais on a découvert récemment que l’ocytocine jouait également un rôle-clé dans la mise en œuvre de certaines émotions positives.
Les deux types de liens qui sont essentiels à la survie de l’espèce - le lien parental et le lien amoureux - relèvent au moins pour partie des mêmes mécanismes neurobiologiques.
On peut être surpris voire choqué par ce constat, surtout quand on songe à la force de l’interdit incestueux. Pourtant, comme le souligne Lucy Vincent dans son ouvrage Comment devient-on amoureux ? , de nombreuses analogies peuvent être observées entre l’amour « conjugal » et l’amour parental. On trouve l’autre parfait, on cherche à combler ses besoins, on le câline et on lui parle comme à un enfant, quand on ne l’appelle pas directement « mon bébé »…
Montrez à une femme amoureuse une photo de son amant. Montrez à une mère une photo de son enfant. Chez la femme amoureuse, comme chez la mère attendrie, un certain nombre de zones cérébrales identiques entrent en activité. Ces zones cérébrales sont celles qui sont sensibles à l’ocytocine. Aujourd’hui il est admis que les mécanismes neurobiologiques d’attachement amoureux et parental reposent essentiellement sur cette hormone. Libérée en grande quantité au moment de l’orgasme, mais aussi de toutes les stimulations sensorielles agréables telles que les baisers, les caresses, les massages, les contacts à peau contre peau, l’ocytocine provoque un sentiment de bien-être total qui favorise la tendresse et l’attachement à l’autre. Dans son Jules et Jim, François Truffaut décrit mieux que personne la fontaine de tendresse qui peut jaillir du rapprochement de deux êtres, et la naissance du lien amoureux : « Toute la journée, Jim avait espéré Catherine. Elle fut dans ses bras, sur ses genoux, avec une voix profonde. Ce fut leur premier baiser qui dura le reste de la nuit. Ils ne se parlaient pas, ils s’approchaient. Vers l’aurore, ils s’atteignirent. Jim se releva enchaîné. Les autres femmes n’existaient plus pour lui ».
L’ocytocine est ainsi, plus que toute autre, l’hormone du bien-être et de l’attachement amoureux. Et la bonne nouvelle pour nous, c’est que ses effets sont durables. Non seulement l’ocytocine ralentit la tolérance aux endorphines (et donc rallongerait l’effet de plaisir), mais le bien-être qu’elle offre, distinct des circuits de récompense, n’a pas vocation à s’émousser avec le temps. Cerise sur le gâteau : en contrant les hormones de stress qui nuisent à notre corps, l’ocytocine favorise une bonne santé, en diminuant significativement les risques de mortalité en cas de cancer ou de maladies cardiovasculaires.
Moralité : pour garder une santé de fer et votre amour vivant, faites l’amour et prenez soin physiquement l’un de l’autre… Ce n’est plus grand-maman qui vous le dit, c’est le CNRS !


[gris]Caroline Colberti[/gris]

[brun]Jeu concours : Vous avez connu une pulsion sexuelle ravageuse et difficile à expliquer, les hormones étaient peut-être de la partie, racontez-nous votre expérience ci-dessous. L’auteure de l’histoire la plus stupéfiante, amusante, jouissive, bref, la plus étonnante recevra un Corps à corps ludique. Utilisez un pseudo pour nous parler librement, mais indiquez votre adresse mail dans le champs ci-dessous (qui ne s’affichera pas), afin que nous puissions contacter la gagnante. Le concours est à présent terminé, rendez-vous sur notre dossier de la semaine pour participer à nouveau.[/brun]

Bibliographie du dossier :
Lucy Vincent, Comment devient-on amoureux ?, Odile Jacob, 2004
Mark F. Bear, Barry W. Connors, Michael A.Paradiso, Neurosciences : A la découverte du cerveau, Pradel, 2007
Frédéric Beigbeder, L’amour dure trois ans, Grasset, 1997

Illustration du dossier :
Phèdre, Alexandre Cabanel

Commentaires (5)

  • Adèle

    Régulièrement, j’ai des pulsions qui ne ne sont pas de l’ordre du coup de foudre, dans le sens où ça ne passe pas par les sentiments, mais par une urgence sexuelle devant quelqu’un que je croise et en un seul regard j’ai un désir qui est si fort que tout mon corps réagit de façon très démonstrative. Ca remonte à loin. Je me souviens, mineure, d’avoir eu une de ces pulsions avec un homme qui devait avoir 30 ans de plus que moi. Il était ému et troublé, et n’arrivait pas à comprendre qu’il fallait qu’il me prenne tout de suite, mon désir ne pouvait attendre. Quand il s’est laissé tenter 15 jours plus tard, j’étais passée à autre chose, et l’envie n’était plus là. Pour ne pas le blesser, j’ai quand même couché avec lui pendant quelques temps, mais tout ça est arrivé trop tard. Depuis, je continue à avoir ces envies qui n’attendent pas. Même adulte depuis bien longtemps, les hommes ont l’air d’avoir du mal à comprendre qu’une pulsion de femme peut, comme chez les hommes, passer par l’urgence et faire abstraction de fleurettes et attentions délicates.

  • Lisa

    C’était l’été, je rentrai de festival, il était là derrière un ordinateur dans le bureau des comptables, le temps s’est arrêté, j’ai cru entendre les "chabadabada" ... j’ai pensé : pourvu qu’il ne soit pas nouveau dans la boite ... "no zob in job" me chantait le petit diablotin qui me faisait penser à lui de jour comme de nuit pendant des mois et des mois ...
    Et si, il a bientôt rejoint notre petite équipe. Et durant des mois on s’est tourné autour un jour, tous nos collègues voyaient bien notre attirance, certains même laissaient des messages sur mon répondeur pour me parler de l’effet que je faisais à mon "désir sur pattes".
    un jour alors qu’il était en train de préparer des colis, il devait avoir chaud pour se mettre en tee-shirt, ....
    En passant près de lui, j’ai vu que de sa manche dépassait un tatouage, ... je me suis sentie fondre littéralement, liquéfiée, en état de transe totale à la vue de son avant-bras .. j’étais vraiment mordue ! Il se passait un truc tout à fait irrationnel pour que ce petit morceau de chair me fasse cet effet là, alors que nous ne nous étions jamais touché.
    Un soir il est venu à la maison boire un verre, il n’est parti qu’au matin de mon lit. Ce fut le début d’une passion physique de trois ans. La cave du bureau, les ascenseurs, les bureaux déserts, ... partout nous faisions l’amour.
    Ce type dont je me suis retrouvée très amoureuse s’est avéré un gros connard, venant coucher avec moi alors que son officielle du moment attendait son premier enfant ...
    Mais moi, j’ai trouvé le Monsieur Parfait depuis, l’humour, la fidélité, l’attirance physique, et la visite de cieux que je n’avais jamais envisagés auparavant ...

  • Valérie

    Dans une cabine d’essayage face au vendeur qui aurait largement pu être mon père et presque mon grand-père j’ai eu une montée de désir irrépressible. Il ajustait une robe sur mon corps et le frôlement de ses mains sur mes hanches m’a fait tressaillir. J’ai une poitrine plutôt généreuse, le décolleté du vêtement était vertigineux et ce quinquagénaire s’en emplissait les yeux. Il n’était pas vraiment attirant mais l’intimité de la cabine d’essayage, sa gourmandise et mon abstinence sexuelle du moment (subie et non pas volontaire) ont grandement joué. L’essayage a duré un temps infini. Je voulais qu’il se passe quelque chose, je sentais ma poitrine se soulever et mon sexe se lubrifier mais de son côté il ne se passait pas grand chose. Je suis sortie de là avec la robe dans un sac et une envie de baiser sidérante. Si j’avais pu croiser un homme pute, j’aurais bien revendu ma robe pour me l’offrir.

  • La rédaction

    Merci Lisa pour votre histoire et bravo, vous êtes la gagnante de la semaine.

  • FredWe

    Un article et des témoignages qui me laissent rêveurs (et un peu envieux). Lira-t-on un jour un article sur le contraire de ces phénomènes : l’anaphrodisie : pathologie hormonale, blocage psychologique ou choix de vie conscient, assumé voir revendiqué ? Y reste-t-on à vie, est-ce que l’on en sort ? Comment les femmes "anaphrodisiques" ou ex-"anaphrodisiques" le vivent ou l’ont vécu, l’ont surmonté ou n’éprouvent pas le besoin de changer ?
    Que doit-on penser (plutôt mon cas) quand on est le conjoint, amoureux malgré les années de vie commune, d’une femme qui se dit satisfaite des rapports sexuels, et qui pourtant ne semble y témoigner que très très peu d’empressement... curieux ! Doit-on douter de sa sincérité ? Comment trouver l’amorce même d’une solution quand elle semble exprimer qu’elle est heureuse et que le peu de désir ressenti ne lui pose pas de problème (et devient alors mon problème) ?

    Merci à la rédaction de faire si bien la promotion d’un "érotisme équitable" car il se pourrait aussi que l’homme y trouve aussi sa renaissance. Cependant une étude sur le "no sex" pourrait aussi être utile pour une compréhension globale du phénomène érotique.