Dominique Baqué

Le dangereux goût de la peau de soie

Le 05/03/2010

Elle a osé, à 40 ans, aimer un homme de 25. Un mariage, un enfant et un divorce plus tard, Dominique Baqué relate dans un récit autobiographique qui vient de paraître, Désintégration d’un couple, son histoire singulière.
Pour Second Sexe, cette critique d’art et universitaire a accepté de livrer son vécu de femme qui s’était affranchie des conventions, avec encore en bouche et en fantasme le désir d’un corps jeune.

Aux Etats-Unis le phénomène des Cougars (femme d’âge mûr en couple avec un homme plus jeune) est assez médiatisé. En France nous n’avons pas l’équivalent de l’expression, ni du phénomène. Notre société n’est toujours pas prête à accepter ces couples ?

Je suis convaincue qu’en France on n’est absolument pas prêt d’accepter ces couples. Et d’ailleurs dans quel autre pays est-on prêt à l’accepter à part aux États-Unis ? Ceci dit, je suis également sceptique sur ce phénomène américain, on cite toujours Madonna et Demi Moore mais bon, ce ne sont pas n’importe quelles femmes, elles sont objectivement très belles, extrêmement bien conservées et ont plein d’argent. Sortir avec Madonna même quand on est très jeune, cela reste valorisant, avec une française inconnue de 48 ans et qui est pas follement pleine d’argent, ce n’est plus pareil.

Quel regard les autres ont-il porté sur votre couple ?

Un regard terrible, très accusateur et qui m’a très très vite démolie, il se trouve que quand je l’ai connu il avait 25 ans, mais il en faisait 20 physiquement et moi j’allais avoir 40 ans. Dans la rue quand vous vous promenez avec un jeune homme qui semble avoir 20 ans alors que vous en avez 40, vous surprenez des regards, de femmes hélas souvent, qui sont excessivement humiliants. J’aurais préféré que ce soit les hommes. Je n’ai jamais senti d’empathie de la part des femmes, je pense que certaines se demandaient si je me payais un gigolo.

C’était plutôt des femmes de votre génération qui portait ces regards ?

Non, de n’importe quel âge. Et c’est là où c’est inquiétant. Si même une gamine de 20 ans le percevait mal, ce n’est pas prêt d’évoluer.

Comment votre famille, vos proches ont accueilli votre couple ?

Dans ma famille cela a été très mal perçu et c’est allé en s’aggravant. Mes amies, mêmes proches, ne m’ont pas soutenue, pour elles il s’agissait d’un coup de folie. L’accusation a été très forte partout, je n’ai pas eu un seul soutien. Ce qui a fait que je me suis de plus en plus refermée sur ce couple, qui est devenu insulaire, autarcique.
A la limite celle qui fut ma belle-mère fut paradoxalement la plus compréhensive, elle l’a pris très mal au début, elle souhaitait mieux pour son fils, mais après quand elle a vu que l’histoire tenait, elle a accepté notre couple.

Votre mari dépendait de vous financièrement et vous acceptiez difficilement cette situation. Seulement parce que vous n’arriviez pas à boucler les fins de mois ou aussi parce que la société nous dit que la dépendance économique ne peut pas marcher dans ce sens-là ?

Si j’avais eu beaucoup d’argent, ça n’aurait pas été un problème pour moi, je n’aurais mis aucune morale là dedans. Ce qui a dysfonctionné, c’est que j’ai une paye d’enseignante et c’est pas fameux, mais si j’avais gagné 7000 euros par mois, en toute honnêteté je m’en serais foutu. Cela ne veut pas dire que le couple aurait duré mais il n’y aurait pas eu ces tensions, ces colères autour du manque d’argent et de son inactivité.

Allant à l’encontre de tous vos principes féministes, vous avez recours à la chirurgie esthétique pour essayer de reconquérir cet homme plus jeune quand vous sentez qu’il vous échappe.

Je sentais que l’écart d’âge physiquement apparaissait de plus en plus nettement et toute honte bue, j’ai pensé que cela pouvait être une solution, pour retarder encore l’échéance inéluctable de la rupture à cause de l’âge. J’ai vraiment pensé à ça, mais je l’ai fait dans la honte. Une honte à plusieurs niveaux. Jeune, j’ai été dans les combats féministes et il y a quand même une contradiction majeure à faire un lifting en étant féministe. Et puis honte aussi parce que je confortais ce que je déteste aujourd’hui, le jeunisme ambiant.

Il vous faisait sentir cet écart d’âge ?

Non c’était vraiment moi, il ne m’a jamais attaquée sur mon âge.

E-love est votre premier roman mais chronologiquement, il se déroule après votre divorce (avec votre mari plus jeune) et donc après votre deuxième roman. Vous relatez ici votre quête d’une relation durable via les sites internet. Un récit sans concession sur ce jeu de dupe, mais aussi un roman très sexuel. Vous souhaitiez rendre compte de cette dualité ?

Oui, je ne vais pas faire non plus ma rosière, j’ai eu des rencontres sexuelles avec des hommes qui étaient quand même toujours plus jeunes que moi. Bon, ils n’avaient pas 25 ans mais ils ne dépassaient pas 40. J’ai eu des belles nuits si on peut dire mais moi j’attendais aussi des matins, pour le dire un peu métaphoriquement et il n’y a pas eu de matins.

Vous semblez avoir repoussé de nombreuses limites d’âges : faire un enfant après 40 ans, vivre avec un homme plus vieux, vivre avec un homme plus jeune, mentir sur votre âge sur les sites de rencontre, vous vous donniez 45 ans au lieu de 50.

J’ai un rapport à l’âge très problématique, c’est comme si je n’avais jamais réussi à trouver mon vrai âge, mais c’est complètement singulier, cela tient à une névrose personnelle. Dans ma tête je n’ai pas 53 ans, je ne les aurais jamais, j’ai encore des réactions de gamine et en même temps j’ai sur le monde un regard qui est presque trop vieux, je suis tout le temps dans des âges qui ne sont pas les miens. Je passe de postures d’adolescentes à des postures de vieillardes mais je ne coïncide jamais avec mon âge.

Combien d’hommes avez-vous rencontré par le biais d’internet ?

Entre 40 et 50. Je suis quelqu’un qui fait tout dans l’excès, donc ça, je l’ai fait dans l’excès comme le reste. J’ai eu des relations sexuelles avec environ 25 d’entre eux. Aucun n’a voulu poursuivre.
Pour ma part, j’ai eu un choc amoureux avec un seul d’entre eux.

Et si vous aviez rencontré des hommes de votre âge, peut-être que cela aurait changé la donne ?

Je ne suis même pas sûre. Déjà, ils ne me séduisaient pas et puis ils pouvaient avoir plus de 50 ans et envie de papillonner. Il y a des hommes mariés sur les sites qui ne le disent évidemment pas. Ce n’est pas une garantie parce qu’ils ont le même âge que moi.

Sur la dernière de couverture on peut lire ceci : « En filigrane de ce récit, se dessinent les désirs d’une société qui, n’ayant plus le temps d’aimer, accélère le tempo et suscite de nouveaux désordres amoureux. » Est-ce cet aspect qui a intéressé Arte qui vient d’acheter les droits télé de votre roman ?

La future réalisatrice a eu un coup de cœur pour le bouquin et c’est seulement après qu’elle y a vu un phénomène sociétal.
Un film sur les sites de rencontres, à ma connaissance, il n’y en a pas encore eu en France et à la connaissance de la réalisatrice non plus. Il y a juste eu un film sur le speed dating avec Elsa Zylberstein ( La fabrique des sentiments de Jean-Marc Moutout).

Vont-ils respecter l’âge des personnages ?

J’ai été un peu rajeunie, vous voyez même dans une fiction filmique, l’âge pose problème. Et si le film aboutit l’actrice qui interprétera mon rôle n’aura certainement pas la cinquantaine...

Vous êtes critique d’art et vous collaborez à Art Press, on ne peut donc pas s’empêcher de penser à Catherine Millet, fondatrice de la revue Art Press et auteure de La vie sexuelle de Catherine M. Avez-vous discuté ensemble de E-Love ?

Elle ne m’a jamais parlé de mon bouquin. Je pense qu’elle ne l’aimerait pas, j’en suis convaincue pour une bonne raison : parce que c’est un bouquin d’une femme en détresse… Soyons honnête, son bouquin à elle, c’est le bouquin d’une femme libertaire, c’est une femme libre. Moi, je n’estime pas du tout être une femme libre, sinon je n’irais pas chercher l’amour comme une gamine. Elle ne cherche pas l’amour Catherine Millet, elle cherche le sexe à l’état brut. « Le matin », dont je parlais tout à l’heure, elle s’en fout éperdument. Elle n’en veut pas. Si elle a lu mon livre, elle a dû trouver cela à la limite très pitoyable (grand éclat de rire).

Êtes-vous toujours attirée par des hommes plus jeunes ?

Oui. Depuis cet homme je ne suis attirée que par les hommes plus jeunes. Sur le site de rencontre quand j’ai rencontré des hommes de mon âge -c’est terrible ce que je vais dire parce que c’est d’une injustice totale mais je préfère être sincère- quand ils étaient trop ridés, quand la peau était abîmée, pas de cheveux, du ventre, je suis crûe mais c’est exprès, eh bien j’avais du dégoût, eux me désiraient mais moi je ne pouvais pas.

Vous êtes attirée pour toujours par les hommes plus jeunes ?

Oui mais il faut que cela s’arrête. Mais c’est vrai que cet homme là m’a donné un érotisme inégalé et après vous gardez la nostalgie d’une peau en soie. Je suis tout à fait consciente de l’injustice et de la cruauté de ce que je dis.

Pourtant vous étiez avec un homme de 50 ans quand vous n’aviez pas 40 ans et vous n’aviez pas de dégoût.

Oui mais tout a changé après mon histoire avec cet homme plus jeune, il y a des tonnes de souvenirs qui me sont revenus, des souvenirs tactiles, sensoriels de mes jeunes amants quand j’étais jeune mais que j’avais complètement oubliés. Je ne savais plus ce que c’était une peau d’un homme de 25 ans et ça été comme une sorte de miracle érotique.
C’est horrible, je deviens une caricature, je ressemble aux hommes que j’ai tellement critiqués, les hommes de 50 ans qui se sortent des gamines de 20 ans.
Et en même temps, si je suis honnête, maintenant je les envie car c’est beaucoup plus facile pour eux.


[gris]Propos recueillis par Nathalie Olivier[/gris]



Désintégration d’un couple, Anabet Editions, 14 €.
E-love, Anabet Editions, 9,80 €.